Le modernisme est une posture qui radicalise certains traits de la modernité. Théorisée dans les années 1950 mais apparue beaucoup plus tôt, dès la fin du 19ème siècle (voire avant), elle concerne tous les aspects de la société, et peut se manifester à peu près n'importe où, dans les domaines technique, idéologique ou éthique. Dans le champ artistique, elle est mise en oeuvre par des individus, des courants informels ou des avant-gardes. Elle affecte d'abord l'art, mais pas seulement. Clement Greenberg en a été le théoricien et le défenseur, et quoiqu'en disent ses (nombreux) ennemis, la dynamique moderniste persévère après lui (et sans lui).
Mais alors, c'est quoi, le modernisme? Une tendance à la réduction esthétique ou à l'épuration de chaque art, de chaque genre ou de chaque style. Il faut, avec le plus de rigueur et d'intégrité possible, aller jusqu'au bout de ses propres règles ou conditions d'existence, en écartant tout autre critère. Par exemple, si l'on définit la peinture comme une tension entre le contenu du tableau et sa surface (Cézanne), on essaiera de pousser cette tension à ses ultimes conséquences. Si on la définit par la planéité, on la voudra totalement plane (Pollock), au risque de tomber dans la décoration (voire l'imposture). Si on définit la sculpture par son matériau, elle va en explorer toutes les qualités optiques. Si l'on considère que l'oeuvre doit être déterminée par son support, on la juge à cette aune et pas autrement. Si on définit le cinéma par son potentiel d'émancipation, on en explorera toutes les facettes, etc...
Dans tous les cas, l'art se désintéresse de la représentation et se tourne vers lui-même. Il lui faut défendre son essence ou sa pureté contre toutes les menaces de contamination.
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Le modernisme n'est pas statique. Comme il faut toujours aller plus loin, ne jamais s'arrêter, dès que les conventions d'un style ou d'un genre sont connues ou institutionnalisées, on les rejette. On cherche autre chose. Jacques Rancière qualifie ce processus d'antinomie du modernisme : plus un courant se veut autonome, plus il s'affirme autre par rapport à tous les autres, moins il peut représenter dans sa généralité le "propre de l'art", et plus il est tenté de se mettre en question lui-même.
L'art moderne a été le terreau du modernisme. Quand l'art, devenu contemporain, s'est désintéressé de ce syndrome d'épuration perpétuelle, il s'est réconcilié avec les pratiques prémodernistes. La fin du modernisme signifie aussi la fin de la tyrannie du goût, qui est l'un des aspects de la dissémination post-moderne.
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