Le regard ne peut dominer que des choses. S'il tombe sur des hommes, il les transforme en mannequins [en objets], ou il est médusé : Je suis vu! La vision ne cesse d'être solipsiste que quand l'autre me regarde. Il élargit démesurément le point aveugle de mes yeux et me rend, tant qu'il est là, incapable de solitude. S'il y a un autre, je ne peux coïncider avec lui. Je ne peux pas le rencontrer, car il serait chose vue. Il surgit comme mise en question radicale. Je suis bien obligé de tracer cette zone non mienne dans l'Être, mais c'est un inconnu. Si autrui est autrui, sa vie est une expérience interdite, impossible. Elle ne tombe jamais sous mon regard. Il est ma négation ou ma destruction. Pourtant, en le faisant inaccessible, je sors du solipsisme.

La vision est nécessairement dissymétrique. Je suis seul à être moi, il n'y a pas réciprocité entre ma vision et celle d'autrui. Mais c'est autrui qui est le responsable de mon être-vu. Je suis atteint dans mon être par la vue qu'il prend de moi. Je vois qu'il me regarde et il ne peut me regarder que parce que nous appartenons au même système de l'Être, nous sommes des moments de la même syntaxe. Ce sont deux entrées vers le même Être, chacune accessible à un seul mais apparaissant à l'autre comme praticable en droit.