Dans une lettre à sa fiancée Martha Bernays en 1882, Freud écrit : "Bien que les formes dans lesquelles les vieux Juifs se sentaient à l'aise ne nous offrent plus d'abri, quelque chose d'essentiel, la substance même de ce judaïsme si plein de sens et de joie de vivre n'abandonnera pas notre foyer". Qu'est-ce donc que cette substance essentielle? Presque 50 ans plus tard, en 1930, Freud n'est pas plus précis quand il rédige une préface à l'édition hébraïque de "Totem et tabou". Il s'agit d'un de ses textes les plus radicaux à l'égard de la religion. Freud affirme ne pas connaître l'hébreu. Il se dit détaché de la religion de ses pères et de tout nationalisme, et pourtant il éprouve un sentiment particulier. Son texte va être traduit dans cette langue sacrée. Il ne renie pas son appartenance au peuple juif, se sent juif et ne voudrait surtout pas changer. Mais qu'est-ce que cela signifie exactement, être juif? Et quelle est la place de l'hébreu? Il est incapable de le formuler en termes clairs. Peut-être, un jour (dit-il), la science y réussira-t-elle. Dans l'immédiat, il ne renie pas cet héritage, malgré son obscurité. Bien qu'il ne revendique qu'une judéité indépendante de toute pratique religieuse et politique, cette judéité est inséparable d'un judaïsme historique auquel il continue à se rattacher.