Derrida
Scripteur
Mode d'emploi
 
         
           
Lire Derrida, L'Œuvre à venir, suivre sur Facebook Le cinéma en déconstruction, suivre sur Facebook

TABLE des MATIERES :

                            NIVEAUX DE SENS :

 DERRIDEX

Index des termes

de l'oeuvre

de Jacques Derrida

Un seul mot - ou un syntagme.

         
   
Derrida, le pouvoir, le souverain                     Derrida, le pouvoir, le souverain
Sources (*) : La pensée derridienne : ce qui s'en restitue               La pensée derridienne : ce qui s'en restitue
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 2 février 2008 Dire obliquement l'au - delà du politique

[Derrida, pouvoir et souveraineté]

Dire obliquement l'au - delà du politique Autres renvois :
   

Derrida, le politique

   

Derrida, l'animal

   

Derrida, nation, élection

Orlolivre : Comment ne pas politiser ? Orlolivre : Comment ne pas politiser ?
                 
                       

1. Coup de force, exception.

On ne peut faire la loi, fonder, inaugurer ou justifier le droit que par un coup de force, un acte violent à la fois performatif et interprétatif. C'est une loi de structure : un pouvoir souverain ne se pose qu'en distinguant lui-même entre violence légale ou illégale. Sa structure fondamentale est tautologique. Si l'on obéit à ses lois, ce n'est pas parce qu'elles sont justes, mais parce qu'elles sont lois; si l'on y croit, ce n'est pas sur un fondement légal, mais mystique.

Cette législation, qui vaut pour tous, ne s'applique pas à lui-même. Le souverain jouit d'un droit à l'exception, un droit à s'élever au-dessus du droit dont la justification n'est pas contractuelle (au sens courant du terme), mais onto-théologique.

Le courage du souverain, c'est de proférer un performatif absolu : il prend et fait ce qu'il dit, sans tenir compte d'aucune règle ni formulation pré-établie. Sa passion corrélative est la peur, celle du sujet qui, tout en le craignant, appelle sa protection.

Le pouvoir du souverain tient à la parole : c'est un effet de fable, de fiction. Il lui suffit de s'avancer silencieusement, à pas de loup, ou de se montrer dans son évidence visible, éclatante, dans la toute-puissance de son savoir, pour légitimer la violence. Il peut gueuler, vociférer, engloutir l'autre, l'avaler, l'intérioriser, le dévorer, se l'incorporer, le prendre au-dedans de lui, le garder. Quoiqu'il fasse, le sujet lui-même (ou l'agneau de la fable), en un instant, sans justification, le reconnaîtra comme souverain. L'effet de vérité procuré par la fable lui donne raison. Il faut l'entendre, l'écouter, lui obéir. Il faut s'engager devant lui, jurer de garder le secret.

Dès les débuts de la philosophie grecque, ce dispositif s'est imposé par le biais du logos, plus fort que l'être. D'autres écoutes du logos auraient peut-être été possibles, mais c'est la raison qui l'a emporté. Quand le règne du logos est politique, la force passe du côté de la raison.

 

2. Pulsion de mort, pulsion de pouvoir.

Pour désigner la pulsion selon lui la plus originaire, la plus irréductible, la plus méta-conceptuelle, la plus métalinguistique, Derrida parle de pulsion de pouvoir. Cette pulsion opérerait avant tout pouvoir constitué, par l'affirmation performative d'un "je peux". Avoir le droit de dire "je peux", ce serait l'origine, le principe, de tout pouvoir, c'est-à-dire du toute stratégie du possible qui neutralise l'altérité de l'événement. Derrida va plus loin encore dans cette primauté accordée à la pulsion de maîtrise ou d'emprise : en position de prédicat transcendantal, c'est elle (et elle seule) qui, dans le discours, permettrait de définir la pulsion de mort, une tâche que Freud avait préféré interrompre, la laissant à la spéculation de l'autre.

La pulsion d'emprise gouvernerait, selon Derrida, le rapport à soi de la pulsion. Cette pulsion des pulsions, qui est aussi une pulsion sadique, une pulsion de destruction ou de cruauté, cette pulsion qui tend à dominer violemment l'objet, à exercer sur lui son pouvoir, à détruire sa propre archive (anarchivique), est aussi, paradoxalement, celle de l'archonte. Pour commander, pour exercer son autorité, il faut maîtriser l'archive, la mettre en ordre, l'institutionnaliser, la consigner et l'idéaliser en un corpus ou un système. En ce point où la pulsion de souveraineté rencontre d'autres forces, la question du mal radical se croise avec celle de l'œuvre (voir ici).

 

3. Faut pouvoir.

La peur d'une agression terrible venue de l'autre, d'une force destructive capable d'échapper à toute maîtrise, à tout contrôle physique ou intellectuel, peut se retourner contre soi, se transformer en fantasme d'autodestruction automatique, machinique, compulsive. C'est ce qui arrive à Robinson Crusoé sur son île, quand il a peur d'être dévoré par les cannibales ou englouti par un tremblement de terre. Plutôt que d'être persécuté par d'autres, il préférerait se persécuter lui-même. Il se replie sur soi, croyant en sa propre puissance, son ipséité souveraine. En dominant les éléments, en fabriquant des objets ou une roue, il invente un autre fantasme de souveraineté toute-puissante, inconditionnelle, circulaire. C'est le fantasme même : une répétition solitaire, autonome. En imposant, par la technique, le même à l'autre, il se nomme, il laisse derrière lui le récit de son histoire, un artefact souverain.

Tout commence par un Je ne peux pas, un pouvoir qui vient à manquer. Quand la défaillance menace, alors il n'y a pas le choix : faut l'faire. C'est une responsabilité, un devoir, une exigence qui m'incombe. Je dois dépasser mon impuissance, même si je suis dépassé par la difficulté. Faut pouvoir dit-on d'une tâche qui semble impossible, irréalisable. De même que la non-vérité est aussi originaire que la vérité, le non-pouvoir est aussi originaire que le pouvoir. Celui qui peut souffrir, humain ou animal, peut agir.

 

4. Réitérations, circularité.

L'acte violent qui fonde le souverain n'est pas originel. Il est réitéré dans tout texte, toute signature. Chaque fois que s'exerce le pouvoir de nommer ou de légitimer les appellations, chaque fois qu'une langue est imposée comme langue nationale ou légitime, le souverain peut ruiner les distinctions sur lesquelles il s'appuie, tout en revendiquant sa puissance "spirituelle" : décisions, ordres, prescriptions.

Dans les sociétés contemporaines, c'est le pouvoir étatique qui exerce le droit à l'exception : immunité des chefs d'Etat, peine de mort ou droit de grâce. Ce droit à l'exception n'est pas clandestin ni dissimulé. Il s'affirme au contraire publiquement, voire théâtralement, spectaculairement, par des procédures et rituels inspirés de modèles anciens, comme la mise à mort publique des condamnés.

Tout pouvoir souverain affirme un "Je peux", une ipséité. Se donnant à soi-même sa propre loi, il doit affirmer sa liberté, faire retour spéculairement sur lui-même. Quand la souveraineté est déplacée sur d'autres institutions, par exemple du roi au peuple (après la décapitation de Louis XVI), cette circularité ou quasi-circularité est préservée sous d'autres formes, comme on le voit avec la démocratie. La déclaration des Droits de l'homme n'affirme pas autre chose : le droit à se reconnaître soi-même de façon spéculaire, auto-déictique, autotélique. Et lorsque la souveraineté est transférée à un semblable (l'individu), un prochain (le voisin), une victime, c'est toujours cette ipséité qui est réitérée.

 

5. Supplémentarités.

Par rapport au vivant, le souverain vient en plus. C'est un artefact, une prothèse étatique ("prothétatique") qui se pose comme indivisible, au-dessus des lois, qui affirme protéger l'homme en lui imposant une organisation machinique, hiérarchique. D'un côté (comme le Monsieur Teste de Valéry), il tend à la surenchère - toujours plus de souveraineté, de toute-puissance, de grandeur, de hauteur, de majesté, au-dessus de toute grandeur mesurable. Pour montrer sa force, plus haut que les plus hauts et plus grand que les plus grands, il doit exhiber en permanence une érection phallique qui ne supporte ni chute, ni déchéance, ni détumescence. Il lui faut se mesurer à un supplément absolu qui excède toute limite, jusqu'à la perte du sens. Mais d'un autre côté, cette posture exagérée le ridiculise. La verticalité absolue de celui qui ne se réfère qu'à lui-même fait rire, on le soupçonne de bêtise. Sa rigidité solitaire masque des antagonismes, des partages et des divisions : il n'y a pas "le" souverain, mais des formes multiples de souveraineté toujours entamées.

 

6. Dieu, la bête et le souverain.

L'analogie entre le souverain, Dieu et l'animal (voire aussi le criminel) est fréquente dans le langage courant, dans la littérature et dans les fables. Ce sont des figures doubles - hors-la-loi et soumises à la loi -, qui nous fascinent et nous hantent. La bête et le souverain (pas moins bêtes l'une que l'autre) se ressemblent, s'opposent ou se conjoignent - jusqu'à la copulation (et/est). Comme figures de l'absolue souveraineté - celle qui ne répond pas -, on peut aussi les comparer à Dieu.

Pour se présenter comme conventionnelle et humaniste, la souveraineté étatique moderne présuppose une triple exclusion : le souverain, Dieu, la bête. Ces trois termes sont liés par une série d'analogies. Avec le souverain, comme avec Dieu, comme avec la bête, aucun contrat (au sens courant) ne peut être conclu; et pourtant un certain type d'alliance (hétéronomique) s'impose.

On retrouve cette alliance paradoxale dans l'expérience moderne des Etats voyous. Exclus, condamnés, sanctionnés, il y en a toujours plus - mais les Etats légitimes qui défendent ou prétendent défendre le droit international se comportent eux aussi comme des voyous. Souverain ou contre-souverain, nul n'avoue jamais qu'il est un voyou.

 

7. Archi-souveraineté.

Le souverain n'est ni situable, ni déterminable selon des catégories stables et reconnues. Est-il le lieu du pouvoir, de la raison (celle du plus fort, celui qui "donne raison"), ou au contraire le lieu de la bête, de la bêtise? Le lieu de la violence ou celui du droit? Est-il un Qui (une personne) ou un Quoi (un pur mécanisme)? Une exception immmanente, un transcendantal ou un quasi-transcendantal? C'est indécidable. En lui ces distinctions se brouillent, elles sombrent dans l'indifférence. L'archi-souveraineté est une chose étrange, un conatus qui persévère dans l'être, une arkhè qui vient avant toute pensée, y compris philosophique.

Cette archi-souveraineté, Derrida croit la retrouver dans un lexique utilisé souvent par Heidegger : Gewalt, walten. Ces mots renvoient à la force, la violence imposée. Walten peut signifier régner, gouverner, dominer, prévaloir. Associé au deinon grec, à la terreur, c'est le mouvement qui rend possible l'accès à la différence ontico-ontologique, à la dissociation de l'être et de l'étant. Ce pouvoir est un surpouvoir, une archi-souveraineté qui est aussi une hyper-souveraineté, une "souveraineté si souveraine qu'elle excède les déterminations". Toute la question, dans le cheminement de sa pensée, la question éthique pour laquelle il met en avant le Ich muss dich tragen de Paul Celan, est celle de la mise en échec de cette hyper-puissance à la fois originelle et indissolublement liée au nazisme. Il faut se retirer devant cette hyperpuissance, proposer un autre contrat ontico-ontologique encore indéterminé, inouï.

 

8. Limitations?

En principe, le souverain peut s'augmenter, s'étendre démesurément [jusqu'à la violence divine]. Rien ne le borne a priori. Mais en pratique, il est partageable, divisible. On peut toujours, par le jeu des rapports de force, le transférer, le déplacer, le transmettre, le traduire, le distribuer. Cette économie est l'enjeu des combats politiques.

Au XXème siècle, à la suite d'événements terribles, exceptionnels, la catégorie de crime contre l'humanité a été inventée. Alors est venue l'idée qu'on puisse limiter le pouvoir du souverain par de nouvelles catégories juridiques. L'abolition de la peine de mort est un pas en ce sens, mais il y en a d'autres : chaque fois qu'on met en avant un concept pur, inconditionnel comme le don, le pardon, l'hospitalité, la liberté ou la justice, on oriente vers un autre partage, une autre délimitation du souverain. Cela oblige, aujourd'hui, à penser l'exception. Pour le droit, la politique ou même la philosophie, une telle pensée est impossible [car on ne peut penser, par un système, ce qui échappe au système]. Et pourtant il le faut, c'est l'héritage des Lumières, de la démocratie, de l'Europe. Notre responsabilité, aujourd'hui, est d'en faire l'expérience.

 

9. Au-delà du souverain.

Derrière l'analyse / déconstruction de la souveraineté, on peut lire une autre quête, une autre recherche, celle d'un concept pur mais impossible, comme tous les concepts dits "éthiques" de Jacques Derrida : l'au-delà du souverain. Pour penser ce quasi-concept, il faut une révolution du type de celle qu'a proposée Paul Celan dans Le Méridien, une Renverse du souffle. Si derrière la majesté (celle du prince comme celle qui est prêtée à l'homme, à l'humain) réside une étrangeté toute autre, radicalement autre (unheimlich), irréductible à tout savoir - celle de la bête, de la bêtise, de la violence, de la terreur ou du secret (geheimnis), alors une autre majesté, absurde, peut faire surgir un autre présent, celui où l'on rencontrerait l'autre, on lui donnerait le temps de venir, même en-dehors de l'humain, au-delà de l'art, de la politique, du performatif, de la poésie et même du discours. Cette révolution peut venir par la poésie, et aussi, hors concept, sans concept, par une prière à apprendre, à inventer, envers un Dieu non souverain (à inventer lui aussi).

Chaque fois qu'on se réfère aux droits de l'homme au-delà de la souveraineté de l'Etat-Nation, on le fait au nom d'un autre propre de l'homme, d'une autre souveraineté qu'on ne peut pas définir à l'avance, mais qui prend forme dans ce qui arrive, aujourd'hui, dans le monde. En avançant le concept d'un abandon radical de toute souveraineté, Jacques Derrida va plus loin. Le concept de l'au-delà du souverain suppose à la fois un pouvoir souverain et une renonciation radicale à ce pouvoir. Même s'il est aporétique, impossible en pratique, il faut un tel concept. Peut-être ce qu'on appelle traditionnellement le génie, la génialité du génie, en tant qu'il se soustrait au commun et aussi l'excède, rapproche-t-il de ce concept.

 

10. Pulsion de mort et indirection.

On ne peut dissocier la question de l'au-delà du souverain de la pulsion de mort ou de destruction découverte par Freud. Que faire par rapport aux tendances à l'agressivité, à la cruauté, qui conduisent notamment à la guerre? Freud ne répond qu'indirectement à cette question. L'au-delà du souverain derridien tend à théoriser cette indirection. Pour éviter que le combat contre la violence ne soit lui-même violent, il faut une autre scène, d'autres figures qui opèrent sur un tout autre mode. Freud ne s'est jamais aventuré à décrire ces figures (pour lui non scientifiques), même s'il les a parfois suggérées. Avec ses inconditionnalités, Derrida s'engage dans la définition d'un "au-delà de l'au-delà", dont la pensée ne se bornerait ni aux principes de plaisir et de réalité, ni même à la pulsion de mort.

 

11. Une inconditionnalité fragile, vulnérable.

Dans ses textes politiques, Jacques Derrida envisage une autre problématique mettant en cause la souveraineté : considérer le lien apparemment irréductible, absolu, entre souveraineté et inconditionnalité comme une alliance. Depuis Platon ou Aristote, la raison calculatrice et la souveraineté politico-subjective sont associées. On postule que la raison, comme le pouvoir souverain, commande le monde, et que cette double exigence s'accorde, par principe (inconditionnellement), à l'idée du Bien. C'est la souveraineté du rationalisme. Mais une alliance n'est pas indissoluble. Elle peut être contestée, affaiblie, suspendue ou même rompue. Et quand la terreur ou la violence se déchaîne, quand la terre humaine tremble, ce désir de briser la pulsion de pouvoir se fait plus fort. Ce retrait du souverain, qu'on pourrait croire utopique, est déjà en œuvre aujourd'hui. Il arrive, il fait l'histoire. En contraste avec la force d'une souveraineté indivisible, l'inconditionnalité qui s'instaure est faible, fragile, vulnérable. Comme la déconstruction, aucun pouvoir ne saura jamais la justifier, aucun savoir calculable ne peut prévoir à l'avance ce qu'il adviendra de la raison.

Au plus proche de nous, l'expérience de l'amitié, au-delà du principe politique, au-dessus des lois, pourrait en donner une figure.

S'il y avait un Dieu qui pourrait nous donner à penser ce qui arrive, ce ne pourrait être qu'un Dieu sans souveraineté, détaché du pouvoir, un Dieu qui se déconstruit jusque dans son ipséité. On ne pourrait en attendre ni préservation, ni guérison, mais nous pourrions, sans aucune assurance, lui adresser un salut.

[A moins que, peut-être, ce soit cela, le paradis?].

 

 

 

--------------

Propositions

--------------

-

L'opération qui revient à faire la loi - fonder, inaugurer, justifier le droit - consiste en un coup de force, une violence performative et interprétative

-

On n'obéit pas aux lois parce qu'elles sont justes, mais parce qu'elles sont lois; c'est le fondement mystique de leur autorité, elles n'en ont point d'autre

-

La structure fondamentale du droit est tautologique : il se pose en mettant performativement en oeuvre les conventions qui décrètent quelle violence est légale ou illégale

-

Tout texte, toute signature opère comme la police par rapport au droit : réitération d'un acte violent qui ruine les distinctions sur lesquelles il s'appuie!

-

Indivisible, la souveraineté pure contracte la durée dans l'instant, la pointe stigmatique de son moment propre; mais dès qu'on la justifie, on l'entame, la divise et la partage

-

En retournant contre soi l'agression venue des autres, une force d'autodestruction automatique, machinique, compulsive, instaure l'ipséité souveraine

-

Pour échapper au terrible fantasme "mourir vivant", il faut un autre fantasme, le fantasme même : une souveraineté toute-puissante, inconditionnelle, circulaire

-

Toute autobiographie, fiction ou confession, laisse derrière elle un artefact souverain, qui parle tout seul dans le monde, disloquant l'ipséité

-

Le courage du souverain, qui inspire aux autres la crainte, est celui de faire et de dire le performatif absolu

-

L'essence dynamique du souverain, son "energeia" et aussi son "enargeia", sont constitués par son récit, sa représentation, sa fiction dans son évidence visible, éclatante

-

En tant que pouvoir de se donner à soi-même sa loi, la démocratie suppose un retour quasi-circulaire sur soi, un "Je peux", une ipséité

-

Les droits de l'homme, c'est le droit à se reconnaître soi-même comme homme en faisant retour sur soi de façon spéculaire, auto-déictique, souveraine et autotélique

-

Le souverain, c'est celui qui a le droit et la force d'être reconnu comme lui-même (ipse), le même, proprement le même que soi

-

Dans la fable, il est montré que le pouvoir est lui-même un effet de fable, de fiction, de parole fictive et performative, de simulacre

-

Il faut penser l'exception, même si une théorie philosophique, juridique ou politique - voire un concept - de l'exception est impossible

-

La souveraineté de l'État se définit par le droit à l'exception (droit à s'élever au-dessus du droit)

-

La souveraineté étatique moderne, qui se présente comme une convention humaine ou un artefact, est fondée sur une ontothéologie profonde

-

Dans les trois figures de la bête, du criminel et du souverain - chacune hors-la-loi à sa façon, une onto-théologique inquiétante est à l'oeuvre; elle nous fascine, elle nous hante

-

Pour instituer la figure humaine et politique du souverain, il faut exclure Dieu et la bête, masquer l'onto-théologie, l'alliance entre ces trois figures au-dessus du droit

-

La figure de l'animal est double : soit la bête naturelle que l'homme domine par la loi de la raison; soit le monstre, le Léviathan, cet artefact au-dessus des lois

-

Dans le couple bête/souverain, la bête "est" le souverain, et aussi l'autre du souverain (ressemblance, conjonction, alliance, hymen, hétérogénéité, passage, partage)

-

Personne ne pourra répondre à la question générale : "Que veut dire le pouvoir ?" - sauf à partir du "il faut" qui indique le manque, le faillir, l'impuissance, l'impouvoir

-

La non-vérité est aussi originaire que la vérité; il faut la possibilité de l'erreur, du mensonge, de la dissimulation ou du retrait pour dire le vrai

-

Pour penser le rapport de l'animal à l'homme, il ne faut pas partir de ce qu'il peut faire, mais d'un autre pouvoir que nous partageons avec lui : le pouvoir-souffrir

-

Le souverain, cette "prothétatique" monstrueuse qui supplée la nature en y ajoutant un organe artificiel, objective le vivant dans une machine de mort

-

Le souverain est celui qui, par une exaction originaire, a le droit de s'exagérer démesurément, de s'augmenter de rien [création ex nihilo]

-

Absolument grand, au-dessus de toute grandeur mesurable et au-delà de toute multiplicité calculable, le Un souverain est plus d'un, plus qu'un

-

Entre la bouche et l'oreille, la puissance de dévoration / vocifération du souverain oblige à entendre, écouter, obéir

-

L'érection phallique n'est propre ni à l'homme ni à l'animal, mais dans sa permanence ithyphallique, elle est un attribut spécifique du souverain

-

La logique de la souveraineté tend vers un débordement phallique insatiable, l'érection d'un supplément absolu qui excède toute limite, jusqu'à la perte du sens

-

Une bêtise essentielle caractérise le phallique comme tel et son érection permanente : le souverain

-

La définition la plus profonde de l'absolue souveraineté - celle du souverain et aussi celle de Dieu et de la mort -, c'est qu'elle ne répond pas, elle a droit à l'irresponsabilité

-

Le monolinguisme de l'autre, c'est d'abord le pouvoir souverain de nommer, qui témoigne de la structure coloniale de toute culture

-

Le secret tient toujours à la violence ou au pouvoir de quelqu'un : il suppose un serment, un engagement devant l'autre qui, en tant que tel, l'exige souverainement

-

Forcer à partager une langue, c'est détenir un pouvoir qui n'est pas seulement linguistique : frayer, tracer, ouvrir la route, contrôler la marche, les marques et les marges

-

Si l'on veut soustraire Dieu à l'onto-théologie, voire excéder sa souveraineté, il faut réapprendre à lui adresser prières et sacrifices

-

Dans la fable "Le loup et l'agneau", c'est l'agneau qui, par un acte de langage, fonde le loup comme souverain

-

Dans le couple "La bête et le souverain", la distinction entre le Qui et le Quoi vient à s'abîmer, à sombrer dans l'indifférence

-

La bêtise est un quasi transcendantal, toujours idiomatique et singulier, une catégorie exceptionnelle dont le sens comme tel ne se laisse pas déterminer

-

La peur est la passion corrélative de la souveraineté et de l'Etat : elle est ce qui motive le respect des lois, et aussi leur transgression

-

La peine de mort est la condition quasi-transcendantale du droit pénal et du droit en général

-

On ne peut pas remettre en question le principe de la peine de mort sans contester ou limiter la souveraineté du souverain

-

Le droit de grâce, modèle exemplaire du pardon pur, incarne le principe transcendantal de la souveraineté

-

La pulsion d'emprise ou de pouvoir est irréductible à aucune autre : c'est elle qui règle le principe et l'économie du plaisir

-

Par habilitation d'un "Je peux", une pulsion de pouvoir annonce et organise, en-deça et au-delà de tout principe ou pouvoir institué, l'ordre symbolique

-

Le motif du pouvoir joue à l'égard de la pulsion de mort le rôle de prédicat quasi-transcendantal : il permet de la définir, mais il est débordé par elle

-

En démocratie, la liberté est double : comme maîtrise, elle est un pouvoir, comme axe d'incertitude ou d'indécision, elle fait trembler la démocratie même

-

Il faut que toute mise à mort légale soit publique, afin d'attester oculairement, de laisser voir la souveraineté absolue du peuple et de l'Etat

-

Le modèle autopsique des jardins zoologiques (savoir - pouvoir - avoir - voir) est aussi celui des institutions psychiatriques

-

Tout ce qui touche à la violence du droit est spirituel : un esprit qui se manifeste comme pouvoir, autorité, dictature; qui s'énonce sous forme de décisions, ordres, prescriptions

-

En appeler à la raison, c'est aussi en appeler à la raison du plus fort, celle qui "donne raison" en s'autorisant du performatif même

-

Penser la génialité du génie, c'est penser ce qui soustrait une singularité au général, au partageable, au genre ou à la communauté du commun

-

Le génie est cette force monstrueuse, inhumaine, qui excède toute loi du genre : dans les arts, la littérature, la différence des sexes ou le genre humain en général

-

Du côté du souverain comme de la bête, du Qui et du Quoi, il y a de la bêtise, l'un étant toujours à la fois moins bête et plus bête que l'autre

-

Plutôt que sur la souveraineté comme telle, qui n'est qu'un rien, un excès hyperbolique, il faut faire porter les rapports de force sur les transferts, les partages, les traductions

-

On ne choisit pas entre souveraineté et non-souveraineté, mais entre plusieurs partages d'une souveraineté elle-même divisible

-

La révolution française a transféré la souveraineté du roi au peuple, sans modifier le discours théologico-politique, voire l'essence religieuse du concept d'Etat

-

La décapitation du roi est un transfert fictionnel, narratif, théâtral, représentatif et performatif de sa souveraineté à celle de la Nation et du peuple

-

Dans l'éthique du semblable où la victime prend la place du souverain, l'idée de souveraineté n'est pas contestée, mais seulement déplacée

-

Tous les rationalismes sont souverains : leur moment inaugural est un pouvoir de connaître qui s'accorde, par principe, inconditionnellement, au-delà de l'être, à l'idée de Bien

-

Il n'y a pas "la" souveraineté, mais des formes de souveraineté qui entament et déconstruisent déjà le concept pur de souveraineté, indivisible et inconditionnel

-

On ne peut penser les inconditionnalités (hospitalité, don, liberté d'engendrer des oeuvres) que hors souveraineté; mais la souveraineté se donne comme absolue, indivisible, inconditionnelle

-

Du point de vue de la raison calculatrice, l'alliance entre exigence de souveraineté et exigence inconditionnelle de l'inconditionné paraît indissociable, irréductible, absolue

-

Le concept de "crime contre l'humanité" introduit une mutation radicale, une conversion mondiale à la sacralité de l'humain

-

Double bind : au nom de la souveraineté, il faut la liberté; mais il faut aussi déconstruire la souveraineté, sans remettre en cause la liberté

-

Ce qui arrive au-delà du performatif, c'est une inconditionnalité faible, fragile, vulnérable, sans pouvoir, qui contraste avec la force d'une souveraineté indivisible

-

En politique, la responsabilité, aujourd'hui, c'est de faire l'expérience d'un impossible : répondre à la position d'un cap (l'Europe) en résistant à toute prise de pouvoir

-

Quand des forces en mal de souveraineté font trembler la terre humaine, alors on peut désirer suspendre le lien qui unit la raison, la pulsion de souveraineté et l'inconditionnel

-

En son essence, le savoir est souverain; suspendre l'ordre du savoir, son autorité, penser ses limites, les passer, c'est disqualifier la majesté souveraine

-

Chaque fois qu'on se réfère aux droits de l'homme au-delà de la souveraineté de l'Etat-Nation, c'est au nom d'un "propre de l'homme" promis à une pensée qui ne se pense pas encore

-

[Il faut, pour penser le souverain, penser l'au-delà du souverain]

-

[On peut, à partir du "Méridien" de Paul Celan, penser l'"au-delà du souverain"]

-

Au-delà de toute souveraineté - politique et même poétique -, on peut tenter de penser une révolution qui, dans la rencontre du tout autre, tourne ou coupe le souffle

-

Il y a deux façons de penser l'Etranger : en tant qu'"autre présent vivant", ou par "le présent de l'autre"; mettre le cap sur la seconde, c'est ouvrir l'abîme du sans fond

-

Il y a dans l'art une étrange et familière (unheimlich) sortie hors de l'humain, un secret (Geheimnis) au coeur du plus intime de la présence

-

[Sur l'au-delà inconditionnel de la pulsion de mort, de la cruauté, de la souveraineté, de la pulsion de pouvoir et du mal radical, projet ultime de la déconstruction]

-

Les figures de l'inconditionnalité s'affirment à partir d'un "au-delà de l'au-delà" des pulsions et principes freudiens : de plaisir, de réalité, de mort et aussi de pouvoir souverain

-

Quand arrive l'autre scène, indéchiffrable, elle excède tout énoncé performatif, tout principe de plaisir et de réalité, toute pulsion de pouvoir et peut-être toute pulsion de mort

-

L'à-venir de la raison ne peut se penser que comme événement, exception, singularité absolue, inconditionnalité incalculable, non réappropriable par un pouvoir souverain

-

La question "Qui peut mettre en échec l'hyper-souveraineté du Walten ?" peut s'écrire "Qui peut mourir ?" Telle est la question derridienne ultime

-

Une amitié au-dessus des lois, au-delà du principe politique, ne répondrait plus devant aucune autre instance qu'elle-même, elle se placerait au-dessus de la justice

-

Ce qui advient "au-delà du performatif", dans sa vulnérabilité et sa finitude corporelle, se moque de toute garde, de toute assurance, de tout "Je peux"

-

Entre un pardon effectif, qui suppose quelque pouvoir souverain, et un pardon digne de ce nom, inconditionnel, sans pouvoir ni souveraineté, l'aporie est irréductible

-

Aucun pouvoir ne saura jamais justifier en raison le questionnement critique, hyperrationnel, inconditionnel, de la déconstruction

-

L'époque des Etats voyous, c'est celle où "il y en a plus" : plus d'un, plus qu'on ne pense, encore plus, et bientôt plus du tout

-

Le voyou, c'est l'autre interpellé devant la loi : nul ne déclare "Je suis un voyou", sauf le voyoucrate, ce contre-souverain

-

[Des textes de Heidegger, Jacques Derrida retient un mot dont il use partout de façon délibérée, explicite, insistante et insolite : Walten, Gewalt]

-

Jacques Derrida retient des textes de Heidegger deux valeurs qui rendent possible l'accès à la différence ontico-ontologique : "Unheimlichkeit", "Walten"

-

Le Walten heideggerien semble faire appel à un surpouvoir, une souveraineté si souveraine qu'elle excède, comme le rien ou le néant, les déterminations de la souveraineté

-

Tout traité de philosophie devrait commencer par la bêtise - cette chose étrange, cette question première de l'entêtement à être, du conatus, de l'archi-souveraineté

-

Dès les débuts de la philosophie grecque, le logos a violemment imposé sa souveraineté, sous le déguisement de la raison, de l'entendement ou de la logique

-

Là où les choses s'annoncent "à pas de loup", le loup est absent, silencieux; un autre loup plus fort encore, qui figure autre chose, hante la scène

-

Chez Valéry, dans une surenchère de souveraineté, tout se crispe pour maîtriser l'étrangeté, pour la transformer en Quoi

-

Penser un Dieu vulnérable, retiré, détaché du pouvoir, cela implique de dissocier l'inconditionnalité de la souveraineté

-

Il faut saluer le seul dieu qui puisse encore nous sauver, un dieu sans souveraineté

-

Sous le nom de Dieu, on peut donner à penser une non-souveraineté vulnérable, souffrante, divisible, mortelle, qui se déconstruit jusque dans son ipséité

-

La violence divine, la plus juste, est indécidable, inconnaissable - et pourtant la seule qui pourrait faire l'objet d'une décision politique, révolutionnaire, ouvrant une ère nouvelle

-

Si l'on pouvait lever les apories qui rendent impossible l'au-delà du souverain, ce serait le paradis

logo

 

 


Recherche dans les pages indexées d'Idixa par Google
 
   
   

 

 

   
 
     
 
                               
Création : Guilgal

 

 
Idixa

Marque déposée

INPI 07 3 547 007

 

Derrida
ProSouverain

AA.BBB

DerridaCheminements

QI.SO.UVE

PolitiqueAutre

CD.KDC

OeuvreMethode

FC.KKJ

BS_ProSouverain

Rang = zQuois_Souverain
Genre = -