Pour aller ensemble, deux souliers doivent faire la paire. Ce n'est pas le cas des chaussures de Van Gogh, ni les Vieux souliers aux lacets, ni les autres. Non seulement elles sont retirées du pied, détachées, délaissées, délacées, mais en plus elles sont dépareillées d'une façon ou d'une autre. Elles n'ont ni la même pointure, ni la même orientation. Au pire, elles sont inutilisables, au mieux, elles boîtent. Comment marcher avec deux chaussures du même pied, dont l'une est le double de l'autre, son fantôme [ou son frère, comme les Peupliers de Van Gogh le suggèrent]? Il y a quelque chose de louche, d'inquiétant : une chaussure en plus, une troisième ou une première.

Van Gogh fait un pari : on peut comparer ces chaussures, même s'il n'y a pas entre elles la différence normée qu'il y a usuellement entre deux chaussures. La différence n'est pas supprimée, mais elle n'est pas réductible à un couple, une paire. C'est un pari inconscient, absolu, qui n'exclut pas le disparate. C'est un coup, un coup [de pinceau] génial qui ouvre la possibilité du dépareillage. Elles défient le mimétologisme qui règne dans la philosophie : irréductibles à un jeu réglé d'identités et de différences.

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D'accord, on a un peu changé les couleurs. On trouvera là une couleur plus habituelle. Mais n'oublions pas que, dans les deux cas, ce sont des reproductions.

Ce qui fait de ces chaussures des oeuvres, ce n'est pas qu'elles soient peintes, c'est que, contrairement à ce que feraient des chaussures bien symétriques, bien normées (comme dans un catalogue de vente), elles n'arrêtent pas la différance.