(La phrase ci-dessus est une citation de Jacques Derrida, dans Psyché p12).
La déconstruction n'est pas un acte ni une opération. C'est un démontage qu'on ne peut pas attribuer à un sujet individuel ou collectif qui en aurait eu l'initiative : elle a lieu, sans délibération ni organisation. La construction se perd, c'est ainsi. L'espace se brouille, les structures se délitent. Il y a en elle quelque chose de passif [On peut l'observer dans la rupture cézanienne, quand il détruit l'homogénéité de l'espace].
Cela tient peut-être aux spécificités d'une époque (la nôtre), mais peut-être pas. Avec ou sans la modernité, le démontage a lieu. Déjà, dans la Sainte Famille chrétienne, dans l'être-juif et probablement dans d'autres traditions, ça déconstruit. La déconstruction n'a pas attendu l'effondrement du miroir de la représentation classique pour se mettre en mouvement. Pourtant, il y a quelque chose de spécifique à la modernité. Tout se passe comme si elle était porteuse d'un phénomène plus large, d'une déconstruction générale. Avant même l'émergence des techniques qui l'ont rendue visible, comme la photographie ou le cinéma, elle se manifestait dans l'art et la littérature. Aujourd'hui l'Internet et les technologies digitales entretiennent les turbulences, font vaciller la forme-livre et suscitent une demande de déconstruction.
Peut-on dire qu'en devenant un motif, un thème ou un objet de théories et de stratégies, la déconstruction se banalise? Certains symptômes vont dans cette direction. Plus ça se déconstruit, et plus le corps social menacé produit les anticorps chargés de lutter contre le danger : institutions, récits, lois, communautés, consensus, renforcement du moi et règles morales. Mais le mouvement est difficile à arrêter. L'infection se propage au-delà du cyberespace, elle infecte le lieu, la pratique et le concept même du politique. Elle affecte le sujet comme le moi, elle loge dans les médias et les arts du quotidien avec leurs démontages visuels [cf le gros plan au cinéma].
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