Dans son ancienne acception, l'identité d'un lieu tirait sa vigueur de l'histoire qui s'y était déroulée. Il disposait d'un système de signes, d'actions et d'images dont les résidents détenaient seuls la clé, dans le cadre de limites extérieures, de traditions internes et de conventions. Mais cette ancienne acception est désormais caduque. Les espaces de transit ont aboli la vieille géographie des lieux fixes. Ils sont remplacés par les espaces de communication, de circulation et d'information des nouveaux réseaux. C'est la notion même de lieu qui perd ses assises sous l'effet de médiums visuels mobiles et éphémères.

Nous ne connaissons d'innombrables lieux qu'en images. C'est par les images que nous les visitons. Ce sont les images qui viennent à nous et leur donnent une situation. Ils sont fragmentés et minés de telle sorte qu'ils ne peuvent être distingués d'autres lieux. Mais ils ne disparaissent pas sans laisser de traces. Ce sont des lieux dans la mémoire. Ils manifestent leur présence par leur reproduction et les dispositifs techniques de gestion d'information. Entre artefacts et imagination, ils brouillent les limites qui séparent le ressouvenir de la présence muséale. Le rapport entre lieux imaginaires et réels est bouleversé : notre expérience des lieux s'amalgame à celle que nous faisons des images.ll Nous avons beau habiter ou visiter un lieu réel, nous le voyons avec d'autre yeux. Les lieux prennent possession des images que nous possédons dans notre propre corps.

Rue Saint-Maur, 25 juin 1848, avant l'attaque.

La rue Saint-Maur existe toujours, mais cette photo fait d'elle un lieu de mémoire.