Pour Jacques Derrida (personnellement) et pour chacun d'entre nous, la langue s'articule entre deux pôles :

- elle est universelle, transcendante, une structure normative avec sa grammaire, son lexique, sa rhétorique, ses genres de discours et ses clichés, un système dont l'unité se reconstitue toujours;

- c'est un phénomène empirique, un témoin idiomatique où se reconstituent des zones hors-la-loi, de traduction, de jeu, de jouissance non identiques à elles-mêmes. Tous les signes du langage s'y inversent.

On peut parler d'aliénation originaire de la langue. D'une part on ne peut pas la posséder. Elle est langue de l'autre, porteuse de fantasmes, de fétiches et d'idéologies comme le nationalisme ou le culturalisme qui conduisent toujours à sa réappropriation. D'autre part elle est continuellement exposée, agressée. Les improvisations, les anomalies, les traces y proliférent. On peut y frayer des voies impossibles, hors route et hors système. Tout peut y arriver : elle devient illisible, impossible, irrecevable, intraduisible. Cette coexistence du logos et de l'ouverture à l'événement fait d'elle à la fois une monolangue et plus d'une langue.