Jacques Derrida pense la différence sexuelle à partir d'un concept heideggerien, la Geworfenheit, qu'il faut traduire avec prudence. On a parlé de déréliction ou d'être-jeté. Il propose ici jetée disséminale. Selon Heidegger, avant même la détermination du temps et de l'espace, le Dasein se disperse, irréductiblement. C'est une dispersion originaire, qui ne peut être dérivée d'aucune détermination, qui précède l'espace, le temps et tous les systèmes d'oppositions. A ce stade on ne peut pas parler de différence sexuelle au sens courant (anthropologique, biologique, vécu dans la langue et dans la manifestation du corps propre). Heidegger évoque une sorte de neutralité du Dasein.

Mais alors comment penser la différence sexuelle? Pas à partir des sciences comme la psychologie ou la biologie, qui reposent sur des prédéterminations métaphysiques ou des schémas éthiques ou religieux, mais à partir de la dispersion. Si la sexualité peut envahir tout le discours, c'est parce qu'elle prend appui sur ce qui n'est pas encore dualité. Avant la marque de la différence sexuelle, avant l'appartenance à l'un ou l'autre sexe, vient l'autre différence sexuelle, celle qui n'est pas scellée par le deux. Pour y accéder, il faut que se retire la dyade.

© Chloé Julien, dont on trouvera des images à cette adresse.