Notre époque est caractérisée par la volonté d'encourager l'invention, de la programmer dans tous les domaines : le savoir, la recherche, la culture, l'enseignement. Depuis le 17ème siècle, ce n'est plus un phénomène erratique comme précédemment. C'est devenu une fabrication, la mise en oeuvre d'un dispositif qui se reproduit, se répète. On ne se contente plus de découvrir des vérités dont on suppose qu'elles existaient déjà avant leur découverte, on veut anticiper l'invention, la produire, l'orienter, la faire progresser, l'induire par des machines et des encouragements.

Un vaste débat s'est développé au 20ème siècle sur les conditions d'émergence et de légitimation des inventions. On n'invente pas à partir de rien, mais à partir de règles linguistiques, de codes, de modes de lecture et de réception déterminés historiquement, socialement et symboliquement. Dans notre société, l'inventeur a un statut, il peut recevoir des prix et des récompenses. L'invention est sanctionnée par un brevet, un titre, un droit d'auteur garanti par une autorité - ce qui est indispensable pour le protéger contre les reproductions abusives. Il faut des règles institutionnalisées, statutaires, légitimes, des critères reconnus pour repérer comme invention un événement singulier. Mais alors, cet événement paradoxal (fabriqué mais nouveau) peut-il encore être qualifié d'invention? →

Photographie extraite du film "Le voyage dans la lune", de Georges Méliès (1902).

Tout dépend de ce qu'on appelle invention. A celle qui reste de l'ordre du calculable et qui entretient l'ordre du même [l'invention moderne], Jacques Derrida préfère celle qui laisse venir l'autre, hétérogène et incalculable [l'invention déconstructrice].