1. Un acte de foi.
Toute croyance suppose un acquiescement, un dire "oui" à l'autre, un axiome sans lequel il n'y aurait ni loi, ni droit, ni contrat. Aucune vérité ne serait crédible, aucun lien fiduciaire ne pourrait s'instaurer sans cet acquiescement. Il faut que cet axiome reste intact, qu'il reste sain et sauf. Cette loi de l'indemne qui conditionne le lien social est commune à la raison, la science, la religion. C'est leur chose même. Une inhibition nous saisit et nous oblige à faire halte. Pourquoi la respectons-nous? Aucune contrainte ne s'exerce. La porte est ouverte, comme celle de la loi, mais nous ne la franchissons pas, nous obéissons à un sentiment quasi-mystique, un ordre qui nous intime de rester en-deça d'une barrière invisible.
Si l'on pouvait décrire l'indemne de manière positive, ce serait le pur, le propre, l'intègre, le non-contaminé. Ce serait le sentiment de pudeur, de scrupule ou de respect qui nous lie à l'autre. Ce serait l'original - protégé par le droit d'auteur - auquel il ne faut pas toucher, l'être pur qui nous rassure et nous inquiéte en même temps, ou encore le moi vivant, le moi corporel et glorieux.
2. Altération et protection.
Il faut de l'indemne, du vierge, du propre, de l'immun, de l'intact ou de l'intouchable, pour se défendre contre ce qui pourrait l'altérer : l'autre, la différance ou la dissémination.
{*Werner Herzog montre dans Family Romance qu'on peut aussi simuler cette défense}.
Le mouvement d'auto-immunité est double : (1) l'indemne est inséparable de ce qui le menace, (2) ces deux veines sont irréductibles l'une à l'autre. Toute pensée est contaminée par l'autre, par l'hétérogène; l'indemne est inséparable de ce qui l'infecte.
On trouve dans les trois monothéismes des alliances et épreuves qui mettent l'indemne à l'épreuve. Avant Saint Paul, le judaïsme avait inventé la circoncision, qui entame le corps pour le rendre intact.
3. Fétichisation.
Ce qui est indemne ou supposé tel tend à prendre de l'ampleur, à se gonfler de présence vivante. Il faut cet effet phallique pour idolâtrer, fétichiser, entretenir la foi.
Toute pensée qui cherche à restaurer l'originel ou l'authentique relève de cette logique. C'est le cas par exemple de la pensée de Marx, quand il soutient que tout commence par la valeur d'usage, et que tout doit y revenir. Mais si un tel mouvement cyclique pouvait aboutir à une immunité absolue, plus rien arriverait, ce serait le mal absolu.
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