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TABLE des MATIERES : |
NIVEAUX DE SENS : | ||||||||||||||||
Derrida, le secret | Derrida, le secret | ||||||||||||||||
Sources (*) : | La pensée derridienne : ce qui s'en restitue | La pensée derridienne : ce qui s'en restitue | |||||||||||||||
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 3 janvier 2012 | Derrida, inconditionnalités, principes inconditionnels | [Derrida, le secret] |
Derrida, inconditionnalités, principes inconditionnels | Autres renvois : | |||||||||||||
Derrida, la garde |
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Derrida, la réserve |
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Derrida, l'oubli |
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Orlolivre : comment ne pas se taire? | Orlolivre : comment ne pas se taire? |
Derrida, une crypte |
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1. Le secret, séparé. Il n'est de secret qu'inavouable. L'avouable seul peut être avoué; l'inavouable reste clandestin, irréductiblement, irrémédiablement crypté. Cela pose la question de la limite entre ce qui est secret, et ce qui ne l'est pas. Dans les langues latines, le secret, c'est la séparation (secernere). Tant que le secret reste séparé, impartageable, il y a de l'autre, il y a de la distance. Tant que le secret reste intact, un espacement est préservé, respecté, mais si le secret était avoué, alors plus rien n'arrêterait le déchaînement du pouvoir, de l'appropriation ou de la violence. Tout livre, texte, œuvre, mise en oeuvre - ou même individu, personne, communauté - exige un arrêt, une interruption. Cette marge externe - interne (car il n'y a pas de hors-texte) est mouvante, dynamique, complexe, divisible, toujours menacée d'extension, de disparition ou d'invagination. D'un côté, celui de la croyance, de la foi ou du lieu tout autre, le secret reste vierge et intact. Aucune critique, aucune expertise, ne le révélera. Mais d'un autre côté, la différance en lui est inarrêtable, immaîtrisable. Le secret ne peut être enfermé dans une tombe, voué au silence. Vouloir lire intégralement un écrit ou une œuvre reviendrait à neutraliser, ou ignorer, ce double mouvement.
2. Ce qui ne répond pas. Il y a du secret, mais ce secret ne peut jamais répondre de lui-même, en son nom (comme khôra). Il est si étranger à la parole que, même négativement, on ne peut pas le définir. Dire qu'il est ce qui ne répond pas est déjà abusif, puisqu'il n'est pas, et que même ce qui arrive obliquement (le silence, le mensonge, la tromperie, le simulacre, etc.) n'en dit rien. S'il en reste quelque chose, on ne peut pas en témoigner, ou on ne peut en témoigner, performativement, que par l'expérience de sa trace (sans contenu), de son tracement : le mouvement d'une trace qui ne laisse aucune trace. Ce qui est hors d'atteinte, intransmissible, inenseignable, incommunicable, ne se laisse dire que par une sorte de théologie négative - qui trahit sa non-réponse absolue. Et pourtant on en témoigne, il faut en témoigner. Chaque fois qu'il est impossible de répondre, chaque fois qu'on laisse venir, dans la responsabilité, une part d'irresponsabilité, chaque fois qu'on reconnaît un lieu hétérogène au pouvoir et au devoir, chaque fois que, malgré l'urgence, on laisse ouvert un espace de non-réponse, chaque fois qu'on sort des limites pré-construites d'un questionnement, on témoigne du secret. C'est ainsi que la déconstruction commence. Le secret exemplaire de la littérature, ce qui la rend digne d'être aimée passionnément, c'est que pour tout dire, sans aucune censure, elle n'a pas à toucher au secret. Sa toute-puissance tient à sa capacité à protéger le lieu du secret. Elle est le secret même. Aucun interprète ni archiviste ne peut l'interpréter complètement. Il y a toujours de l'avant-œuvre, du hors l'œuvre, du hors-la-loi de l'œuvre, du style, qui resiste à toute lecture, toute compréhension. Peut-être la différence sexuelle exige-t-elle elle aussi le secret, plus d'un secret et aussi plus d'un indéchiffrable, plus d'un retrait, par plus d'un "je".
3. Silence, responsabilité, secret du secret. Dans l'Ancien Testament, le récit du sacrifice d'Abraham (ou ligature d'Isaac) est le lieu où la question du secret est posée. Quand il répond à l'appel de Dieu, Abraham n'en parle à personne : ni ses proches, ni sa femme, ni son serviteur, ni son fils, personne. Il garde secret l'engagement qu'il a pris de donner la mort à ce à quoi il tient le plus : son fils, la promesse d'avenir qu'il porte. L'alliance implique le respect de ce lien absolument singulier, unique, qui le lie à Dieu. Avec cette épreuve d'un secret terrible, absolu, le secret du secret, son rapport à Dieu se détache de toute communauté. Sa prière est absolument idiomatique, intraduisible. Avec le christianisme, le secret perd cette dimension de distance, de séparation (la sainteté). Un Dieu invisible, caché, voit les secrets du croyant et les évalue : "Ton père, qui voit dans le secret, te le rendra" (Evangile de Matthieu). Ainsi se constitue un lieu pour les secrets : s'il n'y en a plus pour Dieu, il y en a encore plus pour les sujets. Dans l'étrange économie du secret qui s'instaure, moins il y a de secret pour Dieu, plus il y en a dans l'intériorité subjective. C'est l'émergence du sujet dissocié, avec sa part inconnue, inconsciente. Au lieu du secret, ni objectivable ni commensurable, qui n'est là pour personne, s'institue la responsabilité au sens moderne. Son secret, c'est qu'elle refoule et incorpore des mystères plus anciens, un noyau d'irresponsabilité absolue, une possibilité d'hérésie sans laquelle la liberté du moi ou du sujet conscient n'aurait aucun sens. C'est ce mystère toujours retiré, caché, qui garde le dernier mot. S'il était reconnu comme tel, la responsabilité s'annulerait aussitôt. D'un côté, ce secret au-delà du secret, qui me regarde par la voix d'un autre et ouvre la dimension de la foi, est l'invisible absolu. Mais d'un autre côté, en tant que figure sacrée, il peut être présentifié par le culte (ou même virtualisé par les médias). C'est le Christ lumineux et sa présence réelle, l'Eucharistie (la communion).
4. Parjure, mensonge. Une oeuvre qui respecterait la promesse de ne trahir aucun secret, ni celui de l'écrivant ni celui du destinataire, serait illisible. Pour être lisible, il faut que de quelque façon elle trahisse les deux, qu'elle s'érige en crime, en parjure. "On devrait toujours demander pardon quand on écrit (on parjure a priori, on perd fatalement la singularité du destinataire dès qu'on envoie un message lisible - et le secret se perd aussitôt)" (Derrida, Tourner les mots, p88). D'un côté, l'auteur devrait demander pardon car il ignore la singularité du destinataire; et d'un autre côté, le destinataire aussi devrait demander pardon, car en lisant, en "comprenant", il ignore le secret de l'auteur. Et quand l'auteur dit "je", il se parjure aussi, car entre la singularité la plus irréductible qui désigne ce "je", et le "je" grammatical du texte, anonyme, substituable et universel, l'abîme est insondable. Au dernier moment, en secret, un "je" peut être substitué à un autre "je", l'adresse peut toujours être changée. Sans que rien n'y paraisse, je peux m'adresser à un autre - voire au tout autre. A la source de toute croyance, il faut le témoignage d'un "je". Mais ce "je" n'est pas indivisible. Il peut toujours, en secret, mentir.
5. Héritage, le sceau du secret. Un secret est toujours légué, hérité. Il tient à une injonction, un impératif qui peut se présenter sous une forme douce, persuasive, mais aussi s'imposer par la force, la tyrannie d'une filiation, d'une généalogie. Il tient à la violence, au pouvoir de quelqu'un, d'un "Qui". L'héritier accepte, par serment, de consentir à cet engagement. Il ne devra jamais avouer le secret, même dans l'espoir de réparer un mal. Dès sa naissance, il sera responsable de l'autre, y compris de ses crimes. S'il se confessait, il devrait aussi confesser l'autre. Ainsi Hamlet, par exemple, se sent maudit, bien qu'il n'ait rien fait. Il est simplement né, et du simple fait de cette naissance, il est pris dans une tragédie, il subit les conséquences d'une série de crimes qu'il n'a pas vécus. Ceux qui ont commis ces crimes ne peuvent pas l'avouer, et c'est lui qui devrait se confesser, comme si sa confession pouvait équivaloir à la leur. Il ne peut même pas espérer qu'un jour (messianique) il s'émancipera du poids de l'histoire. Hériter, c'est reconnaitre que le secret est une réserve qu'on ne pourra jamais entièrement déchiffrer ni interpréter. L'héritier est fidèle à un secret qu'il n'a pas choisi. Il est gardé par ce secret, avant même que celui-ci ne le garde. Il promet de ne pas y mettre fin, de le préserver pour l'avenir. En disant "Oui", il scelle, par un acte de langage, une alliance qui garde la mémoire de ce lieu qu'il renonce à maîtriser ou limiter. Il prend acte que dans l'héritage qu'il accepte, il y a plus d'un esprit, plus d'un spectre, plus d'une réserve, plus d'un secret, et donc aussi plus d'une responsabilité. Il lui est impossible de prévoir à l'avance jusqu'où cet engagement le conduira. Ecrire, publier, produire une oeuvre, voyager avec quelqu'un, ce serait partager avec un autre un secret - si c'était possible. Mais entre le secret et la trace qu'il laisse, quelle que soit sa forme, la limite reste incertaine, indécidable. Dès qu'un texte est signé, son secret disparaît sous le sceau (la signature), en son nom (un abandon accepté, voire revendiqué par Derrida lui-même). L'auteur fait don de son nom sans rien demander en échange. Le porteur du nom ne peut se confier à personne, il est irremplaçable, et s'il témoigne, c'est dans la solitude, comme un hérisson sur une route. En appelant au témoignage de l'autre, il ne peut que susciter une réponse écrite dans un autre idiome, différent du sien. Selon la formule célanienne, Nul ne témoigne pour le témoin. Nul ne peut franchir la limite, la ligne derrière laquelle se garde le secret.
6. Crypte : un secret inconditionnel, impossible, (inconscient). L'un des critères de l'amitié est la capacité à garder un secret. Est-il possible de trouver un ami parfaitement fiable, dont on serait certain qu'il ne trahirait jamais le secret, même à l'égard d'un autre ami? Un tel oiseau rare serait improbable, introuvable (ce serait une sorte de cygne noir). C'est l'une des raison pour lesquelles, entre amis, on ne parle pas du secret. Le silence suffit. Le secret n'est jamais divulgué. En restant inconditionnel, il prévaut sur toute autre loi, y compris la loi de la cité. Selon Nicolas Abraham et Maria Torok, il arrive qu'un objet soit incorporé dans le moi comme corps étranger, mort, intact, condamné au silence, au fond d'une bouche muette. Enfermé dans une crypte, il se fait caveau, tombeau, monument. Certains psychanalystes interprètent cette garde pathologique comme maladie du deuil. Dans l'analyse derridienne, ce secret se dit : "Je suis mort". Il occupe la place d'un nom propre qui s'ajoute au nom patronymique ou aux surnoms connus. Il peut y avoir plus d'un nom ou d'un pré-nom d'avant le nom, tous tenus secrets, au bord du système de la langue. On ne connait pas le lieu où le secret est scellé. Il reste énigmatique, indéchiffrable, inviolable. Il arrive que les parois de la crypte où il est enfermé se fissurent, il peut arriver qu'il en sorte quelque chose, mais ce n'est qu'un élément dérivé (un allosème). Le secret lui-même reste hétérogène, inaccessible au savoir comme à l'autorité. Alors que l'archive peut être constituée en corpus ou en système, alors qu'un code, même entièrement chiffré, peut toujours, en principe, être déchiffré, le secret est structurellement muet. Pour qu'il se manifeste, pour qu'il se montre, pour qu'il apparaisse, il faut du génie. Cela peut arriver n'importe où : dans la fiction, la littérature ou ailleurs.
7. Aujourd'hui. Notre époque est celle où le secret devient un enjeu politique majeur. La frontière entre public et privé est devenue instable, incertaine. Aux menaces policières et aux violences s'ajoutent des formes douces de viol : la technique, l'informatique, l'enregistrement, l'archivage, la transparence. On ne sait plus où commence le secret. Entre d'une part l'expérience impartageable de la foi sans laquelle il n'y a pas de confiance en l'autre, et d'autre part les savoirs sociaux, publics et partageables, il faut maintenir une ligne de séparation radicale, absolue. Les confondre risquerait d'entraîner une catastrophe [une perte générale de crédibilité détruisant le rapport à l'autre]. Alors que toutes les frontières se déplacent, il faut plus que jamais résister à l'autorité du discours, laisser entendre les mots invisibles qui l'habitent. Il faut protéger le secret "parce que le secret, ça veut dire ça, c'est la séparation" (Trace et archive, image et art, p108). Dans ce nouvel espace juridico-politique, c'est le lieu ou intervient le philosophe qui est bouleversé. Il ne s'agit plus ou plus seulement de dire le vrai, il s'agit de préserver la possibilité et l'expérience du secret, elle-même secrète. Depuis le lieu de sa singularité absolue, le philosophe prend le risque de se dissocier des institutions reconnues, leur fonctionnement et leur éthique, au risque de mettre au jour le noyau d'irresponsabilité qui reste toujours lié au concept du secret.
8. Un lieu voilé, protégé. Si tout autre est tout autre comme le dit Derrida à la suite de Lévinas, si tout autre peut être nommé Dieu, alors le secret de tous les secrets, c'est qu'une alliance singulière et dissymétrique, unique, me lie à tout autre. Avec cette autre alliance, toute distinction entre éthique, politique et religion est abolie. Un secret reste un secret, on ne peut rien en partager, même pour un acte tourné vers l'autre comme le pardon. Partager le secret, cette aporie, pourrait devenir une figure du mal. C'est pourquoi ce qu'on nomme la théologie négative s'épuise à dénier la possibilité même du partage. On trouve dans le texte biblique un double voile qui, dans le temple, sépare le "Saint" du "Saint des Saints" (le parokhet). Ce voile délimite, pour l'homme du commun, un espace inaccessible, un lieu qu'il doit préserver. En se disant marrane, Jacques Derrida protège au fond de lui ce lieu inconnu, autre que lui, infiniment éloigné, exproprié, oublié, crypté, témoin d'une invisible intimité à soi. Il le cherche dans la littérature, la poésie, la pensée, la philosophie (dans sa défense des voix oraculaires) et aussi dans la Torah - jusqu'à parfois le nommer Dieu. Se tenant à l'écart de la communauté juive à la façon d'un marrane, il se proclame l'héritier de cette tradition ou de cette élection qui le voue au silence. Il garde le secret, mais il s'en garde, comme une infirmité ou une blessure. Un jour, il a perdu l'anneau de son père que sa mère lui avait donné. C'était une façon de jeter dehors ce secret intérieur. Mais l'alliance perdue ne s'est pas effacée. Elle exige encore d'être réactivée. A chaque fois qu'il signe, c'est le nom de Dieu qui, en secret, est signé ou signe à sa place - et c'est lui qui doit en répondre.
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-------------- Propositions -------------- -Le secret, c'est qu'on n'avoue jamais, on n'excède jamais l'inavouable - même et surtout quand on avoue -Il y a du secret : c'est ce qui, sans être, ne répond pas -"Il y a du secret" - un secret sans contenu, hors d'atteinte, intraitable, dont nous ne pouvons témoigner que par l'expérience de son tracement performatif -Il n'est d'alliance que singulière et dissymétrique; il faut qu'elle reste secrète, on ne peut rien en partager, on ne peut partager que le rien -La déconstruction commence avec la possibilité d'une expérience de secret absolu dont, en tant que telle, elle n'a rien à dire -Dans une prière se mêlent un rituel codifié, énoncé dans le langage commun, et une adresse absolument singulière, secrète, idiomatique et intraduisible, à un "Qui" indéterminé -[Pour qu'il y ait oeuvre", il faut un arrêt; mais il faut aussi que la différance soit impossible à arrêter] -Il n'y a don - s'il y en a - qu'en un lieu non localisé où le secret est scellé, crypté, indéchiffrable -Aujourd'hui, la frontière entre public et privé est indécidable, elle se déplace constamment - mais le secret, au-delà, en-deça et en-dehors de cela, doit rester séparé -Le secret du secret, c'est le respect de l'absolue singularité, la séparation infinie de ce qui me lie à l'unique -Pour tout vivant, dès qu'il y a lien social, confiance en l'autre, il y a foi, expérience impartageable du secret, à distinguer du savoir ou de la science, qui sont publics et partageables -Entre le sacré (culte, image, incarnation) et le saint (distance, séparation, secret) se distinguent le visible et l'invisible, le continu et le séparé, le lumineux et l'obscur -Le secret tient toujours à la violence ou au pouvoir de quelqu'un : il suppose un serment, un engagement devant l'autre qui, en tant que tel, l'exige souverainement -L'autre est celui qui garde le silence, celui qui, comme un tout autre ou un Dieu, ne partage pas avec nous son secret -Chaque adresse à l'autre est un témoignage, un testament : seul l'autre peut assurer, par serment, la garde d'un secret qu'il ignore -Dans l'économie chrétienne du sacrifice, cette étrange économie du secret, un calcul infini prend la relève d'un calcul fini -"Plus de secret, plus de secret" : dès lors qu'il n'y a plus de secret pour Dieu, s'instaure pour le sujet un lieu de retrait où plus de secret encore, en supplément, peut se loger -La formule "Tout autre est tout autre", c'est (dans le contexte derridien), le secret de tous les secrets -Dès la naissance, on porte la responsabilité du crime de l'autre, d'un mal que personne ne saurait avouer, sauf à se confesser en confessant l'autre -La scène du "Je suis mort" interprète des structures universelles, lisibles, et aussi quelque chose d'absolument illisible, accessible seulement depuis la place de l'autre -[Pour témoigner d'un secret non dit, inconnu, anéanti, au nom d'un témoin disparu, une oeuvre en appelle au témoignage ou à la réponse de l'autre] -L'introjection parle, elle nomme, tandis que l'incorporation se tait, elle ne parle que pour taire ou détourner d'un lieu secret -Dans le fantasme d'incorporation, des forces muettes installent violemment dans le Moi des marques parasitaires, secrètes, encryptées -L'orifice buccal ne cesse jamais d'être un lieu silencieux du corps; il ne devient parlant que par supplémentarité -Dans la crypte, il y a plus d'un for - ce lieu externe/interne, secret, où la chose est condamnée au silence -Il y a en nous un nom avant le nom, un prénom absolument secret à quoi (à qui) l'autre s'adresse, et qui répond en nous -Dans la crypte, plus d'un nom propre est tenu secret; des mots idiomatiques qui n'appartiennent pas au système de la langue interdisent de signer d'une seule identité -Le mot "oblique", s'il n'était pas lui-même trop direct, pourrait dire ce qui ne répond pas en son nom -Le style, la femme, la différence sexuelle et même le simulacre ne peuvent advenir que s'il y a plus d'un "je", plus d'un secret, plus d'un indéchiffrable, plus d'un retrait -Une alliance est scellée par un "Oui, oui" qui garde, en secret, une mémoire endeuillée où vient l'autre -Que nous le sachions ou non, nous sommes tous marranes : fidèles à un secret que nous n'avons pas choisi, nous sommes gardés par ce secret, avant même que celui-ci ne nous garde -On prend un risque en choisissant d'hériter, car dans tout héritage il y a plus d'un esprit, plus d'un secret et une réserve inconnue -Promettre, c'est s'engager pour l'avenir à garder un secret -La substitution du "je" au "je" est la racine du parjure, car je peux toujours, au dernier moment, changer l'adresse en secret -Toute oeuvre ou écriture est un crime, un parjure - car, pour être lisible, elle perd le secret, trahit la singularité du destinataire -On ne peut partager ni prouver un secret : le témoin est seul, irremplaçable, nul ne peut témoigner pour lui -Un ami parfaitement fiable, capable du secret absolu, serait aussi improbable, introuvable, qu'un cygne noir -L'ami-citoyen, raisonnable et vertueux, est partagé entre la loi de l'amitié, qui commande un secret inconditionnel, et la loi de la cité, qui unit dans la conjuration du secret politique -Dans l'espace juridico-politique, le lieu du philosophe est prescrit par la possibilité secrète du secret - dont les conséquences sont incalculables -Le secret de la responsabilité, c'est qu'elle donne la mort à des mystères plus anciens qu'elle refoule, incorpore, subordonne; elle les veille, elle en porte le deuil -On ne sait pas ce qu'est un spectre : une chose innommable, immaîtrisable, anachronique et secrète, un autre qui délivre l'injonction, fait la loi et nous regarde sans être vu -Avec la responsabilité, le moi accède à la possibilité d'un "garder-secret" qui abrite en soi un noyau d'irresponsabilité ou d'inconscience absolue -La responsabilité, dont la mise en oeuvre est toujours insuffisante par rapport à ce qu'elle doit être, est vouée au secret, à l'hérésie, à la rupture inventive avec la tradition -Le dernier mot du don responsable, c'est qu'il doit se retirer, se cacher, se donner la mort; il est secret, le secret même, car s'il se reconnaissait comme tel il s'annulerait aussitôt -On ne peut pas interpréter un poème, mais on peut - sans franchir la limite de la crypte, du secret - témoigner de la puissance, plus puissante que le sens, qui est à l'oeuvre en lui -Pour ouvrir la dimension de la foi ou de la responsabilité, il faut l'invisible absolu, secret au-delà du secret : ça me regarde, par la voix d'un autre, même là où je ne vois rien -Ecrire ou publier, c'est voyager avec un inconnu, partager avec lui le secret le plus sacré - comme s'il était possible de partager l'instant de sa naissance ou de sa mort -Le secret du secret du pardon, c'est qu'il est voué à devenir pardon à soi, privé de sens par cette réflexivité narcissique même -Le secret de l'alliance, c'est qu'il n'y a pas de secret comme tel : il ne peut apparaître que par une dénégation essentielle, originaire, du partage -En tant qu'économie du sacrifice, la responsabilité chrétienne renvoie à une dissymétrie entre les regards : "Ton père qui te voit dans le secret, te le rendra" -Une "mise en oeuvre" suppose des matériaux déjà disponibles en vue de l'oeuvre, pas encore en elle mais destinés à elle et donc déjà, indécidablement, secrètement, en elle -La question du secret, des limites de l'archive, est aujourd'hui un enjeu politique majeur -Que faire? Entre répondre aux appels, demandes, invitations et obligations ou ne pas y répondre, on bute sur l'impossibilité d'un choix; c'est alors qu'il faut témoigner du secret -Reconnaître un lieu secret, hétérogène au pouvoir et au devoir, qui ouvre un droit à l'irresponsabilité, à la non-réponse absolue - c'est la tâche d'une démocratie à venir -La responsabilité est temporelle, de l'ordre de l'écoute, tandis que le respect est visuel, de l'ordre de la distance, du secret, d'un espacement dont la rupture entraînerait le mal radical -Ce qui, dans la littérature, est digne d'être aimé passionnément, c'est ce qui, en elle, est au lieu du secret -Le secret exemplaire de la littérature, c'est qu'il y a une chance de tout dire, sans aucune censure, pour tenir la passion en haleine sans toucher à ce secret -A la distinction entre "oeuvre", "avant-oeuvre", "hors-l'oeuvre" et "hors-la-loi de l'oeuvre", l'archive résiste -Le secret de la Littérature, cette "Toute-puissance-autre", c'est le secret même -La génialité est l'événement absolu qui assigne une limite indécidable entre le secret comme tel, et son apparaître phénoménal -A l'origine du fonds sans lequel la littérature comme telle n'aurait jamais pu surgir est l'alliance entre Dieu et Abraham : silence, épreuve d'un secret terrible, absolu -L'expérience proprement cinématographique résiste à la loi filmique : ne réduisant pas l'image à l'autorité du discours, elle y laisse entendre les mots invisibles qui l'habitent -[Aucun code entièrement déterminé n'est structurellement secret, même si son chiffrage ou sa clef est entièrement perdu, oublié] -La voix oraculaire, étrangère à la raison et à l'essence de la voix, annonce sur un code privé la venue d'un secret mystérieux, sans concept : un mal, une apocalypse -Je me sens l'héritier, le dépositaire d'un secret très grave auquel je n'ai pas moi-même accès -Il revient au nom de Derrida, au secret de son nom, de pouvoir disparaître en son nom -J'ai perdu l'anneau de mon père, cette partie de moi dont le secret est jeté dehors, dans le pli d'un retour sur soi, d'un nouveau départ décisif pour l'alliance -Dans le judaïsme ou l'Islam, où le secret ne se montre pas, il faut déchiffrer, gloser, tandis que dans le christianisme où il se présentifie, il faut l'intérioriser par le deuil, le virtualiser -Khôra, lieu de tout site, fait raconter des histoires au sujet de ce qu'elle reçoit, mais ne devient elle-même l'objet d'aucun récit : son secret sans secret reste impénétrable -Dieu est le nom de la possibilité pour moi de garder un secret; il témoigne de cette invisible intimité à moi, autre que moi, qu'on appelle la subjectivité -Ce qui s'appelle Dieu est ce qui, en secret, nécessairement et souverainement, signe à ma place d'un sceau indéchiffrable -Le judaïsme est une loi révélée, vide de tout contenu, qui n'apporte ni connaissance, ni vérité, dont le secret est séparé, coupé, infiniment éloigné, exproprié -La parokhet (voile qui séparait le "Saint" du "Saint des Saints") est une oeuvre double : vers le seuil, elle est faite par un artisan; vers le secret, elle est inventée par un artiste -Le marrane porte un secret plus grand que lui, un secret auquel il n'a pas lui-même accès et qu'il doit garder, respecter, pour résister à la transparence -Le marrane, ce n'est pas l'exil, c'est la recherche au fond de soi d'un secret eschatologique inconnu, oublié, crypté, d'un messie caché, illisible -Au fond de sa solitude, le marrane doit garder comme sa condition même, la possibilité d'une séparation singulière, secrète, inviolable -Une élection secrète voue le Juif au silence -Injonction faite au Juif non communautaire : "Garde le Juif en toi, Garde le secret qui t'a été confié, Garde-toi du judaïsme" -Le secret de Jacques Derrida, sa crypte, sa folie, c'est que dans sa signature est greffé le nom de Dieu |
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Création
: Guilgal |
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Idixa
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Derrida DerridaSecret AA.BBB DerridaCheminementsWB.SE.CRF DerridaIncondEC.GGD OrloRetraitFE.LEF BE_DerridaSecret Rang = zQuoisDerridaSecretGenre = - |
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