Bien que le don présuppose à la fois la rupture et la continuation du système d'échange circulaire dans lequel nous sommes engagés, bien qu'il ne puisse jamais être vérifié ni expérimenté [puisque tout "don" pratique, effectif, implique une dette ou une réciprocité, ce qui l'annule comme don], bien qu'il soit impossible, nous le pensons, nous le désirons, nous en avons l'intention. D'où vient la loi qui oblige à donner? Pourquoi nous sentons-nous impliqués dans cette illusion, ce simulacre qui déborde l'expérience? Comment rendre compte de cette injonction?

Vouloir, en même temps, donner inconditionnellement et faire un don qui, en pratique, annule ce don, voilà qui est, selon Jacques Derrida, une folie. Un tel don "ne peut avoir lieu qu'à condition de ne pas avoir lieu". Il faudrait qu'il soit sans contenu, immédiatement oublié, qu'il ne donne que le "donner" lui-même et rien d'autre - ce qui est impossible, excessif. Le don pur n'est pas un acte possible, mais un mot. Les injonctions dont il est porteur sont incompatibles entre elles (double binds); et pourtant non seulement on parle couramment du don, de manière apparemment sensée et raisonnable, mais en outre on lui accorde une valeur spéciale, on l'évalue comme bon, bien.

Quoiqu'impossible, le don est un mouvement qui impulse l'échange, qui entraîne le cercle et le fait tourner.