Il y a certains crimes dont on ne sait plus s'ils se situent dans l'ordre du politique, à l'intérieur de ses frontières, en-dehors ou contre lui. La torture, la terreur, l'assassinat, sont-ils des crimes politiques, ou des déchaînements monstrueux qui ne trouvent même plus leur place dans cet ordre? Dans la guerre, le conflit, l'hostilité sous toutes ses formes, on peut identifier l'ennemi, on peut montrer de la haine ou faire preuve de cruauté. Mais il existe un mal pire encore, une extrême méchanceté qui ne met pas seulement à mort un adversaire ou un voisin détesté, mais détruit l'ennemi lui-même en tant que tel. Cette perte de l'ennemi ne peut conduire à aucune réconciliation, aucune paix. Elle détruit le fond d'histoire commune sur lequel l'inimité s'est construite.

Que reste-t-il? Rien d'autre que le mal radical.

Le paradoxe d'un théoricien comme Carl Schmitt, c'est qu'il voulait à la fois préserver la figure de l'ennemi comme condition du politique comme tel, et, par ses sympathies nazies et antisémites, en détruire la figure sur un mode comparable à celui qui lui faisait horreur.

Juste après la Shoah [ce qui en revient est une figure identifiable, ami ou ennemi. Mais le mal radical n'est jamais éradiqué, il menace toujours].