1. Auto-affection.
Le présent de la parole, qu'on désigne sous le nom de parole vive, c'est que quand je parle, je m'entends dans le temps que je parle. Il est clair pour moi que je comprends ma propre intention d'expression. Par cet acte vivant absolument proche de moi qui conditionne l'idée même de vérité, je montre l'objet idéal, pur, sans surface. Evitant toute aventure, j'efface le signifiant. Cette structure exemplaire d'auto-affection, Derrida la qualifie d'"exemploralité" (Economimesis, pp73 et suivantes). Dans ce processus, la relation bouche-oreille est privilégiée.
Par la voix, qui est le présent de la parole, l'être entend son propre, même en l'absence du monde. Le logos traverse l'être et se produit comme histoire [ou comme fable].
2. Extériorité.
Pour qu'émerge le sujet, il faut un double mouvement : qu'il entende immédiatement sa voix, telle qu'il l'a proférée, à l'intérieur, et qu'elle lui vienne de l'extérieur. La parole entendue en l'autre peut faire monde, elle peut produire le monde. Entre le "je" et le "me" du "Je me touche", ou encore entre le "moi" et le "je" du "Moi je" (le Moi-Je courant ou celui de la psychanalyse) se déclenche un mouvement, la mise en œuvre d'un écart, un renvoi de soi à soi. Il faut se sentir sentir, sentir sentir le son, pour qu'un sujet ait lieu.
S'entendre et se voir sont deux ordres de rapport à soi complètement différents. L'un peut être immédiatement intérieur, tandis que l'autre ne le peut pas, la vision passe nécessairement par l'extérieur.
3. Institutions.
Le système de la langue est, dans la tradition occidentale ou logocentrique, organisé autour du phonème. Sous l'autorité du regard, le signe est privilégié. Le corps sensible s'efface, le sens des mots se donne comme maîtrise, pouvoir sur le signifiant. En s'instituant comme ma langue, la langue s'institue aussi comme la langue de l'autre. C'est ce pouvoir qui est mis en jeu dans l'enseignement académique : lien ombilical, direct, entre une bouche et une oreille.
4. Au-delà.
La voix qui s'entend parler, "ma voix", qui ne peut plus se présenter sur le mode du "je suis", finit par s'épuiser. C'est le dernier homme de Nietzsche ou de Blanchot, l'Œdipe orphelin qui n'a de rapport qu'à sa voix et avance en aveugle. Son dernier souffle solitaire, celui de la mort du moi-même, est aussi celui du dernier philosophe.
Toutefois cette voix qui disparaît quand elle s'adresse à l'autre, quand elle s'entend, ne se perd pas. Toujours déjà la première et dernière voix, elle est eschatologique en elle-même.
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