Ce tableau est parfois intitulé "Paire de sabots en cuir", et parfois "Nature morte, souliers de bois". Bois ou cuir? Probablement un peu des deux, car les semelles sont en bois. En tous cas des sabots de paysan en bon état et prêts à l'usage, à la différence des Vieux souliers aux lacets ou des Trois paires de souliers, autres tableaux de Van Gogh qu'Heidegger a probablement vus. On pourrait imaginer qu'Heidegger a été inspiré par ce tableau-là pour son analyse de l'oeuvre d'art. Il pourrait appartenir à une paysanne, mais aussi à un paysan. Bien que les sabots soient vides, on devine la trace des pieds qui les ont foulés. Ils sont solides, lourds, on s'en sert pour le travail, on peut leur faire confiance. De la terre semble avoir laissé des marques brunes sur la partie en cuir. Le chemin de campagne, l'appel de la terre, l'inquiétude muette pour la sûreté du pain, bref le monde de la paysanne, peuvent se lire sur ces souliers (à condition d'être sensibilisé à ces thèmes, comme l'était Heidegger). En même temps ce sont des sabots banals : un objet, un produit rivé à une certaine utilité. Pourquoi ce tableau serait-il une oeuvre, au sens de Heidegger? Parce qu'il ne donne pas qu'une description des chaussures, il les ouvre à leur vérité.

Une paire de sabots en cuir (Vincent Van Gogh, début mars 1888)

Avant d'avoir été commentés par quelque philosophe que ce soit, ce sont des sabots tous simples - et d'ailleurs, ce ne sont même pas des sabots, ce ne sont que des touches de peinture. Tout le reste est interprétation.