L'image ne se donne pas dans la transparence. Entre le regard porté sur elle au présent et le faisceau de causalités et de différences qui ont conduit à son montage, l'écart est insurmontable. Nous croyons voir des formes et des couleurs, mais nous nous trouvons devant du temps. Elle semble proche, très proche de nous, mais elle vient de loin. Le temps ne s'est pas écoulé en elle, il s'offre à nous comme fragmenté, scindé (terme employé par Carl Einstein). Elle est un kaléidoscope, une rencontre entre l'histoire, la mémoire et la durée. En elle se multiplient les régressions, les archaïsmes, les primitivismes, les survivances. Il faut la lire, l'interpréter, la penser, dans une dialectique de l'anachronisme, comme un point critique ou une mémoire virtuelle. Elle n'a de signification que dans cette temporalité multiple.
Si elle n'était qu'une imitation ou une illustration, elle serait pétrifiée, mais ce n'est pas le cas. En elle l'être se désagrège. Elle est une concrétion temporelle, un éclair, un cristal de temps. Walter Benjamin la compare à un tourbillon au centre originaire du processus historique, ou à une boule de feu qui franchit l'horizon du passé. Son rapport au temps est marqué par une complexité irréductible.
On peut la qualifier de symptôme. Sous cet angle, sa place est ambiguë. Si les traumatismes psychiques y trouvent un champ d'expression, ce n'est pas sans malaise.
L'image est un tissage, une toile de temps, qui ouvre infiniment la temporalité et élargit le lisible.
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