Chez Lacan, le terme de parole a un prestige tout particulier, il est entouré d'une aura, d'une pesanteur aérienne quasi mystique qui n'a pas exactement son équivalent chez Freud, car Freud se méfiait (plus que Lacan) de tout ce qui semblait porter la moindre petite dose de sacré. Quant à Derrida, il se méfie encore plus : une parole ne peut s'entendre qu'au présent, dans une rhétorique, et même si elle est gardienne de la trace, ce n'est pas elle qui est à l'oeuvre à l'origine du sens (sauf - peut-être - pour dieu), c'est l'écriture.
Et pourtant... D'où tient-on que l'étant est, si ce n'est de la parole? On attend d'elle qu'elle exprime l'être du sujet, qu'elle le libère. Quand il manque d'être, suppose-t-on, c'est que la parole lui est ôtée. Inversement, la parole prolonge l'appartenance du corps à l'être.
Il y a sujet s'il y a parole, mais il y a aussi division. La voix divise le sujet : celui qui parle n'est pas celui qui entend.
D'où viendrait cette force de la parole? De la voix? (attention! risque de pensée religieuse). Du logos?
La voix trahit une des dimensions de la parole, celle du sujet vivant, de sa vérité. C'est elle qui donne à la parole sa force, à condition d'être oubliée. Elle est incontrôlable. Elle affecte l'auditeur, y compris celui qui s'entend parler. D'une chair, elle fait un corps d'homme. Elle met en rapport les dimensions hétérogènes de l'humain.
La parole vive fait croire en une proximité qui n'est qu'un leurre. Certaines pratiques actuelles, comme le cinéma, en profitent.
Mise en système, la parole vive devient phonè. Elle soumet le sujet à l'écriture linéaire. Elle se déploie dans l'espace, et s'y disloque aussi.
Certaines paroles dépassent la force de la voix, comme celle du sage.
Il est des paroles sans voix (l'art abstrait) ou réduites à son écho (présence divine).
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