- NINA : L'art contemporain est souvent décrié. Mystification, imposture, duperie? Jeu stérile, dérive, masturbation d'intellectuels prétentieux? Plutôt que de porter des jugements, essayons de comprendre. Je propose de le faire à partir d'un concept, celui de perspective immédiate. L'essence de notre époque selon Clement Greenberg est le concret, l'instantané, le direct. Un art authentique doit refléter cette essence.
- SHUTONG : Tu veux dire que l'essence de notre époque est l'immédiateté?
- NINA : Le présent, la présence, l'instantanéité, l'émotion. Tout ce qui semblait menacé au début du 20ème siècle est revenu avec une force décuplée à travers de nouveaux styles comme la performance et de nouvelles techniques comme le cinéma ou la radiographie.
- SHUTONG : Tout cela est-il vraiment immédiat, ou bien est-ce une illusion?
- NINA : Evidemment, cette présence n'est pas réelle, c'est une illusion. Mais la perspective géométrique n'était-elle pas, elle aussi, une illusion? La mutation dont je parle ne supprime pas l'illusion, mais elle rapproche le spectateur du foyer concret du monde.
- SHUTONG : La représentation était illusoire, on le savait, c'était clair. Mais là, on est trompé. Plus on prétend montrer du direct, et plus ce soi-disant direct est transformé par la technologie.
- NINA : Toute image est faite pour tromper, et ce n'est pas parce qu'on trompe qu'on ne dit pas le vrai. C'est ce qu'on compris Cézanne et les cubistes. Leur art semble abstrait, il défie la subjectivité.
- ELIAS : Pour défier le sujet, il faut encore qu'il y en ait un. Sur un écran plat, je n'en vois pas beaucoup.
- NINA : Il se démultiplie sur toute la surface, en chaque point, et aussi dans le temps.
- ELIAS : Il s'y multiplie, ou il s'y dissoud.
- NINA : Nous nous méfions de tous les signes. Nous préférons la chose, même si elle nous emporte dans des continents inconnus.
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