Une photographie se donne pour complète. On ne peut rien y ajouter ni en retrancher; elle est pleine, bondée, engorgée. Alors que les images d'un roman sont pauvres, la photo est "tout-image". Au cinéma, l'image n'a pas cette complétude car elle tirée vers d'autres vues. Mais l'image photographique est collée à son référent qui s'accroche à elle comme un spectre. Elle est sans avenir, sans protension, sans culture, mélancolique, immobile, tournée vers la rétention. Le temps y est immobilisé de manière excessive, monstrueuse. Finie, non dialectique, elle ne transforme pas. C'est le théatre mort de la mort, où la mort ne peut se réfléchir et s'intérioriser. Elle exclut toute purification, toute catharsis. Sa plénitude est insupportable. C'est une sorte de fétiche, comme une icône grecque qu'on baise sans la voir.

"Que la Photo soit "moderne", mêlée à notre quotidienneté la plus brûlante, n'empêche pas qu'il y ait en elle comme un point énigmatique d'inactualité, une stase étrange, l'essence même d'un arrêt" (Roland Barthes, La chambre claire, p142).

Elle bloque le souvenir et l'efface même, comme écran, contre-souvenir. C'est la chose même, exorbitée, qui s'impose avec violence.

Madison Square en 1900 (New York).