Pour que l'oeuvre ait lieu, Antonin Artaud doit s'en prendre à son support (son subjectile). Il doit en entamer la surface, le mettre hors sens, le bombarder, le perforer, le détruire, comme il détruit les mots et le langage. Le souffle qu'il projette n'est pas celui du verbe, c'est une logomachie, une force, une machine qui imprime un rythme. Le mot-subjectile traverse la page. Artaud le dit lui-même, il ne fait pas des dessins ni des représentations, il jette la matière et la lettre à même l'oeuvre comme un excrément sur et sous le papier. La lettre n'est plus assujettie à l'esprit ni à la référence. Elle doit s'entendre. C'est ce que Derrida appelle un pictogramme : une machinerie qui émerge d'un coup, en une fois, qui déclenche un événement de langage où écriture, musique, couleur et dessin ne se séparent plus. L'"oeuvre" n'appartient à aucun genre, elle se tient en-dehors du système des arts.