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TABLE des MATIERES : |
NIVEAUX DE SENS : | ||||||||||||||||
Derrida, croyance, fiduciarité | Derrida, croyance, fiduciarité | ||||||||||||||||
Sources (*) : | La pensée derridienne : ce qui s'en restitue | La pensée derridienne : ce qui s'en restitue | |||||||||||||||
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, | Orlolivre : comment ne pas parler? | [Derrida, croyance, foi, fiduciarité] |
Orlolivre : comment ne pas parler? | Autres renvois : | |||||||||||||
Derrida, religion, théologie |
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Derrida, témoignage, attestation |
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Derrida, latinisation, christianisme |
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1. Un lieu archi-originaire. D'où vient que nous puissions croire, que nous puissions avoir confiance en ce que nous dit et nous promet le langage ? Il n'y a, selon Derrida, rien avant la croyance, rien d'autre qu'un lieu vide, indéterminé, silencieux, qu'il nomme désert [terme biblique] ou Khôra [terme platonicien]. Comment se fait-il que, dans ce désert, puisse venir la croyance ? Le désert est un lieu sans frayage, sans a priori, sans oppositions ni repères, un lieu sans horizon (ni ontologique ni anthropologique), sans lien social, ni communauté, ni contrat symbolique. Dans ce lieu d'extrême abstraction, de raréfaction absolue, d'effondrement sans fond, il faut habiter, et même plus : il faut que ce soit le lieu du désir. Ce qui arrive en ce lieu impossible à archiver, en-deçà de l'origine (archi-originaire), c'est que l'autre peut arriver. Il arrive sans prévenir, portant la paix ou la mort, la jouissance ou le mal. L'autre qui arrive est sans limite (illimité, infini), il est tout autre. Aucune instance théologique ou idéologique, aucune idée ne le précède, aucune condition de possibilité, pas même la révélabilité heideggerienne qui supposerait une attente, une anticipation. Que se passe-t-il ? Il faut acquiescer à l'autre. Cet acquiescement est le début de la foi, du témoignage, de la croyance, d'une fiabilité possible. Avant toutes les valeurs qui font système, avant toute utilité, avant même le sacré, il faut produire une structure en s'y engageant. Pour qu'un échange soit possible, il faut avoir accueilli avec confiance la la chose et le visage. En nous abandonnant à l'expérience du "Qui", nous nous laissons prendre au piège primaire d'avant tous les pièges : la confiance ingénue. En ce lieu indépendant de toute religion s'instaure la machine transcendantale de l'adresse.
2. Crédibilité. Dès lors : a. avec la crédibilité de la parole, c'est l'autorité et la sacralité qui s'instaurent, et avec eux le commandement, la révélation, la promesse, l'injonction ou l'axiome. Une alliance hétéronomique (établie avant tout symbole ou échange) légitime les croyances religieuses, justifie les fidélités et les traditions, garantit l'utilité des objets et la crédibilité des images (peinture, cinéma). b. il n'y a pas d'autre fondement à cette crédibilité que le témoignage. Il faut, pour promettre la vérité, engendrer un témoin et présupposer sa bonne foi. Le témoin ne dit rien d'autre qu'un "Crois-moi!", il déclare qu'il a été présent et qu'il faut le croire. Il n'y a pas d'autre garantie ni preuve que cette déclaration, dont le seul appui est sa sensibilité. Bien qu'il puisse toujours mentir, tromper ou se parjurer, bien qu'un simple suspens du regard puisse suffire à l'ébranler, aucun désenchantement ne peut supprimer cette fiduciarité élémentaire qui conditionne tout lien social. Même si le témoin est absent, invisible, mort ou sécularisé, la croyance perdure - ce qui explique que le témoin ait pu être nommé dieu. c. Le discours moderne, qui prolonge l'évolution séculaire du christianisme, situe la croyance dans une pure intériorité. Luther, contrairement à Descartes, cherche à libérer la pensée de toute garantie extérieure. Il fonde la certitude sur la conscience de soi. Une conscience morale auto-instituée invite au respect du doute, au soupçon quant au dogme, à la méfiance à l'égard des institutions. Cette croyance en l'autonomie du logos promet une vérité, qui ne peut être que celle d'un père ou d'un lieu d'autorité. Chaque décision ou prise de responsabilité relance le risque, rejoue l'épreuve du rapport à un autre incertain, incalculable. Même les liens les mieux établis, comme ceux de l'aimance (amitié et amour), de la parenté, de la fraternité, de la différence sexuelle, engagent dans l'ordre de la croyance, de la foi et du serment.
3. Foi, religion, raison. La source de la croyance ne se manifeste jamais comme telle. Elle n'apparaît qu'en s'opposant à elle-même, se divisant, se dédoublant. Dans le même mouvement, elle produit la religion et la raison, la foi et la science, l'axiome et la pensée qui critique ou combat cet axiome, le calculable et l'incalculable. On retrouve ce dédoublement dans la religion. D'un côté, comme les autres croyances, la religion a partie liée avec le mal d'abstraction (cette pulsion de mort ou anarchive). D'un autre côté, par scrupule, respect ou pudeur, elle s'éloigne de ce lieu, elle s'en retire, elle l'oublie. Il faut que le tout autre, en sa source absolue, soit inaccessible, sacré ou saint.
4. Suspens. La croyance n'est jamais ferme, définitive. Elle peut toujours être suspendue, et elle l'est dans les actes les plus quotidiens. Exemple : il faut voir pour croire, et un dessinateur qui dessine un modèle doit croire en ce modèle. Mais dans le temps où il dessine, où il trace un trait sur la feuille, il s'éloigne de ce modèle. Ce temps d'aveuglement, de suspension de la croyance, est aussi un temps de conversion. D'un côté, quand le dessin prend forme, on peut se passer du modèle. Comme au cinéma, la croyance en l'image est indéniable. Mais d'un autre côté, rien ne l'assure. S'il n'y a plus d'image, il n'y a plus de croyance (comme en musique). Pour séduire, ouvrir le désir, participer à l'échange sexuel, la femme doit donner l'impression qu'elle croit aux fétiches de la féminité, à la castration qui gouverne sa place dans le système phallogocentrique. Mais en tant que femme, elle ne peut pas croire en la vérité de ce système. Elle joue des effets de voile, de pudeur ou de simulacre, tout en prenant ses distances. C'est la ruse féminine, qui garde la croyance en la suspendant. Il arrive aujourd'hui un nouveau type de croyance, sans précédent. Avec les voix enregistrées, avec le direct télévisuel, on prétend montrer comme la chose même un présent-vivant archivé, spectralisé. C'est le "temps réel", auquel on croit comme à une présence absolue, un miracle - bien qu'il ne s'agisse que de reproduction numérique entièrement fabriquée. Le champ de la perception, de l'expérience, en est profondément transformé. On prend l'habitude de considérer comme vivante notre propre mort. Toute croyance devient spectrale. Aucun art ne peut ignorer ce type de croyance auquel on peut croire sans croire.
5. En faire son deuil. La croyance en général, qui vient avant toute culture et toute religion, est universelle. La déconstruction contribue à la défaire. En faisant craquer ses signes et ses modèles, elle en fait son deuil. Ceci ouvre à une autre structure, elle aussi universelle selon Derrida, la messianité sans messianisme. L'acte de langage y reste promesse et ouverture à l'autre, mais sans assurance ni horizon. Tel est l'usage que Jacques Derrida fait, lui-même, de ce qu'il nomme pure prière. Quand il prie, il suspend toute certitude, tout savoir, toute économie, tout calcul. Aucune croyance déterminée ne résiste à ce pur rapport à un "Qui". En intégrant l'incalculable dans cette prière qui reste cependant de l'ordre de l'espoir, de l'attente, de la croyance, il en appelle à l'absence. C'est un acte de foi, une demande de bénédiction adressée à une place vide, dépourvue de référent, qu'on peut nommer Dieu.
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-------------- Propositions -------------- -L'archi-originaire de la religion se tient en un lieu de retrait où tout crédit se fonde : désert dans le désert, origine qui est la duplicité même, entre khôra et messianisme -Un accueil silencieux de la chose ou du visage (fiabilité pré-originaire) est le préalable de tout contrat symbolique -Une révélabilité, plus originaire que la révélation, indépendante de toute religion, est peut-être le lieu d'origine de la foi -Sans passage assuré, sans route frayée ou fiable, le désert est une figure de l'aporie, et aussi l'autre nom du désir -Une révélation est absolument imprévisible, rien ne la précède, pas même des conditions de possibilité (révélabilité) -En un lieu désertique, d'extrême abstraction, s'ouvre la possibilité du lien à l'autre en général, du lien fiduciaire qui précède toute communauté ou religion positive -Tout témoignage, serment, attestation ou adresse engendre et invoque un dieu auquel promettre la vérité -Le témoignage est à la confluence des deux sources de la foi : en promettant la vérité par-delà toute preuve, il atteste de l'indemne (sacralité) et du fiduciaire (croyance) -L'expérience de la croyance présuppose celle du témoignage, du crédit qu'on accorde à la "bonne foi" du tout autre -La différence sexuelle relève du témoignage, en tant qu'il déborde toute expérience et engage dans un sans-rapport à l'autre, celui de la foi -Le miracle ordinaire, c'est l'acquiescement au "Crois-moi!" de l'autre - inconditionnellement, sans confirmation, ni garantie, ni preuve, ni accès à son for intérieur -Les deux sources de la religion présupposent un axiome unique, irréductible mais double, qui doit rester intact et donner lieu à un acte de foi -L'amitié m'inspire une confiance plus grande en l'autre qu'en moi-même, une foi démesurée qui me met sous la loi de l'autre -Toute sacralité, croyance, pensée ou autorité - religieuse ou non - reposant sur un axiome peut être critiquée, combattue ou rejetée au nom de ce même axiome -La religion et la raison ont la même source qui se divise en s'opposant à elle-même : le lieu de la croyance, de la fiabilité, de la fidélité, du fiduciaire et de la foi -Il faut penser ensemble - mais autrement - savoir et foi, technoscience et religion, calculable et incalculable -La foi protestante, qui repose sur la responsabilité purement intérieure du logos, structure la conscience culturelle et scientifique des peuples modernes -Pour tout vivant, dès qu'il y a lien social, confiance en l'autre, il y a foi, expérience impartageable du secret, à distinguer du savoir ou de la science, qui sont publics et partageables -L'analyse du témoignage est peut-être la seule introduction rigoureuse à la pensée de ce que "croire" veut dire -Il y a dans le témoignage une dimension irréductiblement sensible : celle de la présence passée de celui qui est présent, ici et maintenant, qui a vu et qu'il faut croire -Responsabilité et foi vont ensemble : toutes deux doivent répondre d'un rapport à l'autre, dans le risque absolu, au-delà de toute norme et de tout savoir -Quand le fondement de la croyance se dérobe, quand il perd la trace de lui-même, la religion ne peut que commencer et recommencer -En prétendant montrer la chose même, en faisant tout pour effacer les dispositifs sur lesquels ils reposent, les médias télévisuels reconduisent la foi à l'état nu -Miracle des télé-technologies : avec l'enregistrement de la voix, un autre présent-vivant unique, irremplaçable, est archivé et spectralisé, auquel on peut croire ici et maintenant -Dès qu'il y a technologie de l'image, la visibilité porte la nuit (notre propre mort) et la croyance en une réapparition miraculeuse -Devant le mal d'abstraction d'aujourd'hui, il n'y a ni salut, ni chemin, ni issue - car l'acte de foi y a toujours partie liée avec son opposition -Il n'y a rien de naturel dans la parenté ou la fraternité; le lien de naissance est un fantasme, qui engage dans l'ordre du serment, de la croyance et de la foi -Hypothèse de la vue : pour faire et défaire la croyance, il faut un temps d'arrêt, d'aveuglement, de suspens du regard, d'imploration -L'essence du cinéma est la foi en l'autre -Au cinéma, l'image porte une croyance qui doit être incontestable, mais que rien n'assure; sans l'image, dans la musique, la croyance disparaît -La femme est la vérité, mais en tant que femme elle n'y croit pas, elle ne se laisse pas prendre aux fétiches de la féminité -Pour la femme, la castration n'a pas lieu; elle ne croit pas en sa vérité mais elle en joue pour séduire, ouvrir le désir -Le messianique, ou messianité sans messianisme, est une structure irréductible, une expérience de la croyance qui fonde tout rapport à l'autre dans le témoignage -La prière suppose une suspension (epokhè) de la certitude, du savoir, de l'économie, du calcul - au nom de la croyance -Ce qui arrive avec la prière quand, dans le désert, elle intègre l'incalculable dans le calcul, est de l'ordre de la bénédiction -Pour le croyant ou pour l'incroyant, nommer Dieu est toujours un acte de foi, une expérience qui en appelle à l'unicité, à l'absence |
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Création
: Guilgal |
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Idixa
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