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TABLE des MATIERES : |
NIVEAUX DE SENS : | ||||||||||||||||
Derrida, le mal radical | Derrida, le mal radical | ||||||||||||||||
Sources (*) : | La pensée derridienne : ce qui s'en restitue | La pensée derridienne : ce qui s'en restitue | |||||||||||||||
Pierre Delain - "Les mots de Jacques Derrida", Ed : Guilgal, 2004-2017, Page créée le 9 décembre 2014 | Orlolivre : comment ne pas combattre Amaleq? | [Derrida, le pire, le mal radical] |
Orlolivre : comment ne pas combattre Amaleq? | Autres renvois : | |||||||||||||
Derrida, le mal |
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Derrida, violence, cruauté |
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0. Annuler l'avenir. Sous le vocable mal radical, ou sous cet autre vocable qu'est la loi du pire, qu'est-ce qui est nommé par Jacques Derrida? On répondra par cette autre expression apparemment plus claire : l'annulation de l'avenir. N'est-ce pas cela, ou ça, cette chose, que plus rien ne puisse arriver, ce qui peut arriver de pire? Quelles que soient les modalités du mal radical, elles conduiraient à ce plus grand risque, cette plus grande menace, celle qui détruirait toute foi, tout héritage, toute croyance, toute mémoire, toute promesse, toute vie, et même toute possibilité de pensée ou d'œuvre. Chaque fois qu'on supprime la possibilité d'un à-venir, le mal est absolu, il est tellement au-delà du mal qu'on ne peut plus tracer une ligne continue entre l'un et l'autre.
1. De la pulsion de mort à la mort d'autrui. On ne peut pas séparer le mal radical de ce que Freud a appelé pulsion de mort. Radicalisant ce concept, Derrida a nommé anarchive une force de destruction ou d'annihilation qui ne laisse derrière elle ni reste, ni document, ni monument, ni trace - ni archive. A cette anarchive est associée la figure de la cendre - pas la cendre réelle dont on peut analyser la composition, mais la figure d'une chose qui reste après qu'on ait brûlé ou ruiné l'archive, après qu'on ait supprimé toute trace de singularité vivante pour lui substituer une marque illisible. Avec cet effacement, la possibilité même d'une réitération est supprimée, et avec elle la possibilité d'une survie vivante (c'est-à-dire mortelle). Toute archive engage cette menace infinie, démesurée. D'un côté, elle soutient la mémoire, mais d'un autre côté, elle contribue à l'oubli, elle témoigne d'une pulsion d'agression ou d'une cruauté qui l'excède. Cette cruauté psychique - désir de faire souffrir en y prenant plaisir -, seul Freud a tenté, sans alibi, dit Derrida (c'est-à-dire sans tenter d'y associer aucune justification d'aucune sorte, et pas même de signification) de la cerner dans ce qu'elle a de plus propre. Cette chose obscure, énigmatique, difficile à délimiter, déterminer ou définir, est au fondement de la jouissance que peut procurer le mal radical. Poser le mal radical dans son rapport à la mort, c'est aussi poser la question de la résistance à ce mal. Tu ne tueras point - ce commandement qui semble inconditionnel, universel, est aussi le plus universellement trangressé. La mort d'autrui est dévalorisée, elle ne compte pour rien. Il n'y a pour l'autre ni compassion, ni deuil. Cette éclipse est l'un des fondements du mal radical. On ne peut y résister qu'en pensant le sens du monde dans une relation à la mort d'autrui.
2. Aujourd'hui, un mal d'abstraction. Pour annuler l'avenir, il n'est pas indispensable de détruire, la prédictibilité peut suffire. Elle peut se manifester sous des modalités diverses, qui ne conduisent pas toutes et pas nécessairement au mal radical : abstraction, cloisonnement, neutralisation, possession, objectivation, formalisation, métalangage, reproduction, religion, savoir absolu, violence étatique. Quand ces modalités se transforment en calculabilité universelle, en prédictibilité générale, en itérabilité machinique et irresponsable, alors ce qui se produit est un mal d'abstraction ou encore une abstraction radicale, un déracinement spécifiquement contemporain. Son lieu est la technique, la technoscience, la mathématisation ou le numérique. Laissée à elle-même, elle dissocie, délocalise, désincarne, schématise et désertifie. Sa puissance mondialisante n'épargne aucune institution. Elle est irréductible comme la mort. Qu'il soit calculable ou imprévisible, le mal radical est aussi le lieu d'une force menaçante qui peut survenir à tout moment - tremblement de terre, explosion nucléaire, urgence climatique, déluge ou punition millénariste. Il y a toujours eu des figures de cette toute-puissance souveraine à laquelle les sujets modernes opposent le fantasme d'une ipséité qu'ils voudraient tout aussi souveraine, avec le risque que cette autre puissance se retourne contre soi. Ni la prière, ni la repentance, ni l'action organisée (politique, sociale, guerrière) ne protégeront jamais complètement contre cette pulsion machinique. Une figure qui se survivrait à elle-même, perpétuellement inchangée, sans œuvre, ne laisserait place à aucune surprise, aucun aveu. Une telle survivante éternelle, ni vivante ni morte, serait un scandale, un blasphème. Pour celui qui vit, ce serait un parjure, une fausse survivance.
3. Détruire d'avance la possibilité de s'adresser à l'autre. Que l'autre soit détruit, ou qu'il soit devenu inaccessible, irrémédiablement, cela ne revient-il pas au même? Chaque énonciation, chaque phrase s'adresse à un seul, et aussi à plus d'un, et aussi à tout autre. Son destin est l'errance. Si l'autre auquel la phrase pourrait s'adresser est irrémédiablement détruit (sans retour possible), ou si la possibilité de s'adresser à lui est éliminée, alors une phrase n'est plus une phrase, c'est une formulation, un algorithme, un programme. Une destruction de ce type hante toute énonciation - surtout celle qui se voudrait la plus intelligible et la plus logique. Pour causer le mal radical, il n'est pas indispensable que l'autre ait effectivement disparu. Il suffit qu'on puisse l'exclure, virtuellement mais à l'avance. Il suffit d'un discours, d'une rhétorique.
4. Politique, raison, religion. Dans la tradition européenne, le thème du mal radical est investi dans la figure du Diable, de l'Etranger, du Juif ou de toute force qui tendrait à détruire le "propre" ou l'"authentique". Il est alors identifié à l'autre, à l'hétérogène. Mais ces distinctions s'étiolent. Quand plus aucune figure ne peut être identifiée comme telle, pas même celle de l'ennemi, quand les frontières et les marques différentielles s'effacent, alors c'est le politique comme tel qui est menacé. Dans la vie courante, cela peut se traduire en dépolitisation, révolte anti-système, surpolitisation ou hyperbolisation du politique. Il ne s'agit pas d'un simple dysfonctionnement mais d'un mal sans mesure et sans fond, d'une violence inouïe : crises, torture, terreur, assassinats, crimes politiques, guerres civiles. Politique et religion se dressent contre ce désert, tout contre, elles s'y opposent et l'imitent. Il y a, dans la tradition européenne, son telos, un désir de faire de la raison une totalité organisée, une science absolue, souveraine. C'est une maladie fatale, un mal transcendantal qui se heurte à la multiplicité des savoirs spécialisés. Chaque savoir a son dispositif de vérité, son axiomatique, ses institutions et ses communautés, une diversité qui contredit l'espoir d'une immunité absolue de la raison. Les héritiers du logos président au triomphe de la pulsion de pouvoir qui, élargie à la puissance de l'Etat nation, fait plonger le monde dans une nouvelle violence, une cruauté irréductible à la logique du conscient. Ils défendent une souveraineté qui fait mal, radicalement mal. Seule une vulnérabilité, un détachement inconditionnel de la souveraineté, peut y répondre. Pour penser la dislocation de la politique aujourd'hui, y compris telle qu'elle est pensée par un auteur aussi ambigu que Carl Schmitt, pour penser les formes nouvelles de la religion, il faut s'interroger sur les mots qui justifient l'ethnocentrisme, le nationalisme ou la xénophobie, par exemple : immigrant, étranger, citoyen, compatriote, frère. Ce qu'on nomme fraternité est aporétique : d'un côté, la solidarité protège les faibles ou les victimes du mal; mais d'un autre côté, la solidarité des frères peut se retourner en hostilité absolue contre les non-frères. D'un côté, fonder l'humanisme sur le fantasme d'une origine ou d'une naissance communes conduit à nier certains principes ou valeurs essentiels, mais d'un autre côté, l'humanisme est précieux, il ne faut pas succomber à la tentation du fratricide. Ce serait le parjure suprême, le crime des crimes.
5. La possibilité du mal radical, il faut aussi l'accueillir. Si la question de la religion se pose aujourd'hui, inévitablement, machinalement, c'est qu'avec elle revient la problématique de la source, du commencement : la question de la question. "Quoi de la raison et du mal radical aujourd'hui? Et si le "retour du religieux" n'était pas sans rapport avec le retour - moderne ou postmoderne, pour une fois - de certains phénomènes au moins de mal radical ? est-ce que le mal radical détruit ou institue la possibilité de la religion ?" (Foi et savoir p63). Le mal radical n'est pas une question externe à la religion, c'est la question de la religion même. Dans le récit biblique du déluge, c'est Dieu qui décide de la catastrophe absolue. Il lance une malédiction sur l'humain, tout en la réparant d'avance en épargnant certains couples de vivants dans l'Arche. Mais pourquoi alors avoir pris cette décision? Pourquoi avoir voulu cette destruction massive d'innocents, ce mal radical? Il aura fallu la malédiction, le remords ou le retrait de Dieu, sa demande de pardon, pour que soit rendue possible une bénédiction, l'alliance de Noé. La même logique revient dans le sacrifice (ou ligature) d'Isaac. Il faut qu'Abraham soit exposé en secret, en silence, à sa responsabilité, l'expérience du crime impardonnable, le secret gardé sur le pire des sacrifices, la mort donnée à son fils, pour que soit nouée avec Dieu une alliance singulière. Chaque fois, y compris à la création du monde, le souffle de vie est indissociable d'une force machinique, destructrice, inarrêtable. Peut-être cet aller-retour du mal radical se manifeste-t-il dans la vie courante, dans les gestes plus plus quotidiens. Par exemple l'excessive familiarité dans l'adresse à l'autre, le non-respect d'une distance ou d'un espacement, peut être vécu comme agression brutale. Il suffit de frôler, et déjà, le mécanisme est là. Il y a dans l'héritage européen une tension du même ordre : d'un côté, il faut préserver le droit, les droits, la justice, la démocratie, etc.; mais d'un autre côté, pour respecter cette exigence, il faut sans cesse revenir au point de départ, répondre à chaque question de façon nouvelle, absolument nouvelle, au risque du pire. Pour faire venir la justice, on fait appel à des tiers : les institutions, le droit, l'Etat, la police. C'est nécessaire, inévitable, mais cela implique aussi, en même temps, l'acceptation d'un certain degré de calcul, d'une certaine violence qui porte peut-être en elle l'hospitalité au pire.
6. Génocides, la Shoah. Certains ont reproché à Jacques Derrida d'avoir peu évoqué la Shoah, de ne pas l'avoir analysée. Mais lui-même fait l'observation inverse : cette question n'a jamais cessé de le travailler. Plus d'une problématique dans son œuvre, y compris apparemment éloignée, est liée à la Shoah, notamment ce qu'il a nommé les principes inconditionnels qui peuvent être entendus comme une réponse, la seule réponse concevable, à cet événement terrible. La façon dont il ne cesse de revenir au texte heideggerien en insistant sur certains mots comme Geschlecht, Gewalt, Land, Volk ou Kampf témoigne d'un questionnement sur le nazisme, qui est indissociable de la culture européenne où il est né. Ce qui l'intéresse chez Heidegger, c'est moins ce qu'il dit que ce qu'il ne dit pas, son terrible silence, sa relation impensée avec le pire. Or le pire, dans ce non-dit, c'est la Shoah. Penser la Shoah, c'est soumettre la métaphysique occidentale à la question. Aucun humanisme au monde ne peut résister à cette mise à mort de l'éthique, aucune institution, qu'elle ait été ou non participante ou complice, ne sort indemne, immune, saine et sauve d'une dissociation aussi radicale entre le droit de la justice. La"solution finale" est un événement singulier, unique, pour lequel il faudrait redéfinir ce nom, unique. On utilise différents mots pour la nommer, sans pouvoir s'arrêter sur aucun - ni Auschwitz, ni Holocauste, ni Amaleq. Comme le mal radical ou le nazisme, la Shoah ne peut être pensée qu'à partir de son autre, de ce qu'elle tente d'annihiler : la singularité, la signature, le nom, l'inconditionnel.
7. L'oeuvre derridienne, une réponse au mal radical. Jacques Derrida raconte, dans Circonfession, une scène terrorisante, une sorte de cauchemar dans lequel, pendant sa circoncision, on l'aurait lâché, laissé tomber, avant même de lui donner un nom. Cette situation anonyme où le corps sanglant, forclos, est abandonné, avant même qu'on puisse le citer, pourrait être associée à une certaine figure de la mère, une mère qui, depuis un passé absolu (un "déjà" inaccessible, effrayant, terrible), revient comme une cause indéterminée, indéterminable, irreprésentable [khôra], la pire scène qu'on puisse imaginer. Pendant son adolescence marquée par la perte de la citoyenneté des Juifs d'Algérie en 1941-43, il a été directement confronté à l'antisémitisme et au nazisme. Pour y résister, il fallait alors, et il faut toujours, conjurer le mal radical. On peut interpréter le mouvement général de son oeuvre (son œuvrance) et de sa construction théorique comme la dissémination de cet engagement. Penser un au-delà du mal radical, c'est aussi penser un au-delà de la pulsion de mort, de cruauté, de souveraineté et de pouvoir. C'est une tâche qui dépasse largement l'action politique courante ou la dénonciation du totalitarisme ou des guerres. Elle exige une discontinuité radicale, un saut qui ne se réduit ni à un engagement citoyen, ni même à une éthique : c'est un saut au-delà de l'humain, et même au-delà du la vie, un saut inconditionnel au-delà de l'au-delà - qui est peut-être le seul principe de l'oeuvre derridienne, son seul "horizon", si l'on peut employer ce terme pour cet impossible, cet innommable. Sans la possibilité du mal radical, du parjure ou du crime absolu, on ne ferait pas appel au double registre de la loi et du désir pour privilégier le saut dans l'incalculable. Il n'y aurait ni liberté, ni décision. De l'irréductibilité du "sans réponse" (le mal, la mort), surgit l'exigence d'une responsabilité infinie. En osant comparer à une langue sacrée son idiome, la langue de la déconstruction, il affirme qu'elle participe d'un pouvoir de nommer unique, singulier, et même exceptionnel. Ce faisant il marche au-dessus d'un abîme. Il risque la catastrophe, la folie, et aussi un mal sans limite. |
-------------- Propositions -------------- -L'annulation de l'avenir est le plus grand risque, le mal radical qui nous menace -Une assurance qui détruirait d'avance la possibilité de s'adresser à l'autre comme tel, ce serait le mal radical; c'est ce sur quoi, avant tout, on ne désire ni ne doit pas vouloir compter -Trahir l'humanité, ce serait le parjure suprême, le crime des crimes, la faute contre le serment originaire, la tentation du fratricide comme possibilité du mal radical -La responsabilité est temporelle, de l'ordre de l'écoute, tandis que le respect est visuel, de l'ordre de la distance, du secret, d'un espacement dont la rupture entraînerait le mal radical -La pulsion de mort est "anarchivique" : elle travaille à détruire l'archive, y compris ses propres traces -L'archive engage la menace infinie de la pulsion de mort : un mal radical qui emporte et ruine jusqu'à son principe -A la "survivante éternelle", ce blasphème, ce parjure, cette figure du savoir absolu pour laquelle aucune surprise n'est possible, il faut répondre par l'aveu, la demande de pardon -Ne garder d'une pensée que sa loi de production, c'est la réduire à une grammaire, un théologiciel qui, en cautérisant les plaies et cicatrisant les circoncisions, prive d'avenir -La possibilité du mal radical, comme telle, s'il y en a, ne doit être ni vivante ni morte -Dans le telos européen, un mal transcendantal est inscrit : la tâche infinie, inconditionnelle, de faire de la raison une totalité organisée, contrevient à l'effectivité des savoirs -Une immunité absolue de la raison serait le mal absolu où plus rien n'arrive, tandis qu'en laissant exposer une passivité, une vulnérabilité, la raison laisse venir l'imprévisibilité de l'autre -La cruauté psychique, ce désir de faire souffrir pour y prendre plaisir - voire pour jouir du mal radical - est difficile à délimiter, déterminer ou définir -"Psychanalyse" serait le nom de ce qui se tourne, sans alibi religieux, métaphysique ou autre, vers ce que la cruauté psychique aurait de plus propre -En cet abîme du sans support, du fond sans fond où nous vivons aujourd'hui, il faut compter avec une nouvelle violence, une cruauté irréductible à la logique du conscient -Quand des forces en mal de souveraineté font trembler la terre humaine, alors on peut désirer suspendre le lien qui unit la raison, la pulsion de souveraineté et l'inconditionnel -Une figure radicale du mal marque notre temps et nul autre : le mal d'abstraction, porté par la machine et les technosciences -Une décision déterminée par un savoir ou une théorie, même précédée de toute la science ou la conscience possibles, se transformerait en application irresponsable d'un programme -L'essence de la maternité tient à la langue maternelle, tandis que le père occupe la place intenable d'une langue formelle ou d'un métalangage, impossible et monstrueux -L'authenticité du pardon ou de l'excuse seraient menacés s'ils se réalisaient automatiquement, sans oeuvre - alors la scène de confession serait terrifiante, la justice serait injuste -Pour échapper au terrible fantasme "mourir vivant", il faut un autre fantasme, le fantasme même : une souveraineté toute-puissante, inconditionnelle, circulaire -En retournant contre soi l'agression venue des autres, une force d'autodestruction automatique, machinique, compulsive, instaure l'ipséité souveraine -La prière appelle une protection contre le mal ultime (mourir vivant, hors monde), au risque qu'une pulsion machinique, auto-immunitaire, vienne détruire cette protection -Pour penser la religion aujourd'hui, il faut la relier à un mal d'abstraction, un déracinement dont les lieux sont : la machine, la technique et la technoscience -Aujourd'hui, la question de la religion arrive machinalement à revenir, pas comme question de la religion elle-même, mais comme question de la question - celle du mal radical -Il faut l'hospitalité au pire, qui à la fois appelle et exclut le tiers, pour laisser venir la justice, accueillir l'autre et se protéger contre la violence de l'éthique -Dans sa constitution même, l'Europe répond de l'absolument nouveau, le nouveau attendu comme tel, au risque du pire -Axiome schmittien : la politique surgit avec la figure de l'ennemi; si cette marque différentielle s'efface, alors c'est la différence même qui s'efface -Tout ce qui détruit les limites classiques du politique favorise le déchaînement de l'hostilité pure : dépolitisation, surpolitisation, hyperbolisation du politique -Quand on ne peut plus identifier la figure de l'ennemi comme telle, alors vient la violence inouïe, le mal radical sans mesure et sans fond -On ne peut se protéger du mal radical par la fraternité, car la fraternité peut, elle aussi, se retourner en hostilité absolue -Quand on résume l'humanité de l'homme ou l'altérité de l'autre au mot "frère", on veut ignorer d'où ça vient, la portée politique de ce langage obscur -A partir de la possibilité irréductible du "sans réponse" (le mal, la mort) surgit l'exigence d'une responsabilité infinie -Sans la possibilité du mal radical, du parjure et du crime absolu, aucune responsabilité, aucune liberté, aucune décision -La tâche de tout citoyen, c'est de prendre en compte la discontinuité radicale entre un savoir sur les pulsions de mort et de cruauté, et un saut dans l'éthique, le droit ou la politique -Il faut, pour résister au mal radical, être en deuil de tout autre, "penser" le sens du monde dans une relation à la mort d'autrui -On ne peut se retirer de la solitude du "Il y a" anonyme et neutre que par la vérité impensable de l'expérience vive : rencontre du visage -"On me reproche de ne pas dénoncer le nazisme de Heidegger! Alors que je ne parle que de cela" (Jacques Derrida) -Il faut tenter de penser le nazisme depuis son autre : la possibilité de la singularité, de la signature et du nom -Aucun humanisme ne peut se mesurer à la "solution finale", cette chose sans nom; et pourtant il ne faut pas succomber à la tentation de l'irreprésentable ou de l'ininterprétable -De la Shoah, aucune institution religieuse au monde ne sortit indemne, immune, saine et sauve -Dire "La Shoah est un événement unique" ouvre la question de la signification du mot "unique" en général et dans ce cas singulier -Il faut lire Heidegger, car toute la culture européenne partage sa pensée de l'esprit, son spiritualisme à l'œuvre dans le discours nazi -Avec la Shoah, c'est toute la philosophie, la métaphysique et la rationalité occidentales et européennes qui sont radicalement soumises à la question -S'il fallait tirer un enseignement du "pire" (la "solution finale"), ce serait pour juger de la complicité des discours qui séparent radicalement le droit et la justice -La responsabilité, ce n'est pas seulement respecter ce qui se dit, c'est aussi respecter ce qui ne se dit pas - y compris au sujet du nazisme de Heidegger -En ne disant rien de la Shoah, en laissant impensée sa relation avec le nazisme, Heidegger nous a laissé le devoir, la tâche terrible de faire ce travail -On peut analyser la Shoah, qui vise la destruction du peuple de l'alliance, comme crime contre la Loi (la Torah du Sinaï), mise à mort de l'éthique -La mère fascine depuis l'absolu d'un "déjà" qui produit l'excès, le terrible, la jalousie - depuis un passé absolu pire que la pire scène imaginable -En secret, intraduisiblement, par une amitié poétique, résonne chez Carl Schmitt l'écho de la loi du pire -En sécularisant la langue sacrée, les sionistes ont ouvert un abîme sans fond au-dessus duquel ils marchent comme des fous, sans voir le mal sans limite qui pourrait arriver -On peut réinvestir le thème du mal radical dans une autre logique : le Diable ou le Juif dans l'idéal aryen -Axiome absolu : il faut qu'Abraham soit exposé en secret, en silence, à l'expérience du mal radical, du crime impardonnable, pour que soit nouée avec Dieu une alliance singulière -L'épreuve d'Abraham porte sur sa capacité à garder un secret au moment des pires sacrifices : donner la mort à son fils, renoncer à la promesse d'avenir qui lui a été faite -En graciant Noé, Dieu pardonne pour le mal qu'il a fait advenir dans le désir de l'homme; par ce retrait, cette alliance, il lui laisse la souveraineté terrible au nom de laquelle il l'a créé -Alliance de Noé : comme s'il regrettait la malédiction du déluge, Dieu se demande pardon à lui-même et bénit tout vivant; mais le signe de cette alliance est furtif, météorique -Le pire, pour Derrida, le plus épouvantable, aurait été qu'on le laisse tomber, sans nom, pendant "sa" circoncision, qu'il soit laissé forclos, sanglant, impossible à citer -[Sur l'au-delà inconditionnel de la pulsion de mort, de la cruauté, de la souveraineté, de la pulsion de pouvoir et du mal radical, projet ultime de la déconstruction] |
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Création
: Guilgal |
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Idixa
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